Édith Lejet : Composer avant toutLes œuvres d’Édith Lejet sont largement diffusées sur les ondes des radios françaises et étrangères et jouées par des ensembles exigeants. Sa toute dernière composition en illustration du concert “Cent phrases pour éventails” (d’après le recueil de haïkus de Paul Claudel) pour l’Ensemble Muromachi sera donnée en première à Tokyo. Actuellement, elle dispense par ailleurs son enseignement en composition à L’école normale de musique de Paris Alfred Cortot.Franc-Parler : Vous faites partie du cercle assez restreint des femmes compositeurs. Comment se fait-il qu’il y ait peu de femmes compositeurs ?Édith Lejet : Oh et bien alors ça, c’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Il y en a. Des femmes asiatiques. Beaucoup plus que des femmes européennes. Et en tout cas, en France, je constate que la place est largement ouverte à quiconque et que les candidatures de femmes sont extrêmement limitées et elles préfèrent se consacrer à d’autres choses. Je ne vois pas de raisons particulières et je trouve que c’est dommage parce que je crois qu’il y a une expression féminine qui n’est pas la même et qui a sa valeur. Il y a des compositrices que je trouve très intéressantes. Là, je sors de mon cours de composition, nous venons d’écouter des pièces de Sofia Goubaïdoulina qui sont vraiment pleines de créativité et d’intérêt. Hier, j’ai réentendu en concert des pièces de Kaija Saariaho, voilà aussi une femme que je trouve très très intéressante. C’est dommage qu’il n’y ait pas plus d’intérêt de la part des femmes de venir, de s’intéresser à la composition, c’est vrai qu’il y en a peu. Je ne vois pas autre chose à dire. Je crois que c’est difficile. C’est difficile pour un homme, c’est un peu plus difficile pour une femme, parce que justement ce n’est pas très habituel. Mais enfin ce n’est pas impossible.Franc-Parler : Quels sont les compositeurs qui comptent le plus pour vous ?Édith Lejet : J’ai été élève de André Jolivet. Je n’ai pas choisi son enseignement. Ça s’est produit parce qu’il a pris le relais du professeur qui se trouvait avant mais c’est vraiment quelqu’un dont la manière de penser la musique allait dans mon sens donc c’était important certainement. Et dans la même période, j’ai eu l’occasion d’être beaucoup en contact avec Henri Dutilleux, avec Maurice Ohana et je crois que ces trois personnalités ont beaucoup compté. Sinon, j’avais fait au Conservatoire une classe d’esthétique qui était tenue par un professeur germaniste, romancier, poète et non pas musicien mais qui avait une connaissance extrêmement ouverte de la musique. Et même une vision assez extraordinaire puisque les instrumentistes trouvaient en lui un professeur pour leur instrument, moi un professeur pour la composition. Chacun dans sa spécialité a trouvé dans son enseignement des repères. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup marquée et ça, ça a été préalable à l’enseignement de Jolivet et je pense que ça m’a bien préparée à l’enseignement de Jolivet et tout ce que j’ai pu échanger comme idées avec Henri Dutilleux ou Maurice Ohana. Voilà donc la base. Mais je suis toujours intéressée par la création, la nouveauté et je suis intéressée par ce qui est poétique et j’aime beaucoup le timbre, les mélanges de sonorités. Personnellement, je suis toujours attirée par l’idée d’une dramaturgie. Souvent, j’écris des œuvres qui ont, sous-jacente, une dramaturgie qui en explique l’évolution.Franc-Parler : Vous vous rattachez à quel courant ?Édith Lejet : Eh bien non, je suis parfaitement indépendante. Je ne rattache pas à grand-chose. Non vraiment, je ne saurais pas me rattacher. Il y a des courants auxquels je sais bien que je n’appartiens pas. Je n’appartiens ni à l’avant-garde ni à l’arrière-garde mais c’est difficile pour moi de me situer. J’aurais vraiment des difficultés, sinon par rapport aux maîtres que je vous ai cités, je suis peut-être dans leurs lignées.Franc-Parler : Vous êtes une personne qui a reçu beaucoup de prix. Vous avez été pensionnaire à la Casa de Velázquez à Madrid. Quel a été l’intérêt pour vous d’obtenir ces prix et de partir là-bas en Espagne ?Édith Lejet : C’est d’abord de découvrir une culture différente mais en fait, la principale chose, d’abord, c’est une récompense, ça fait plaisir de sentir qu’on vous sélectionne dans un concours. Et ensuite, quand je faisais mes études, j’étais bien obligée de gagner ma vie et j’avais un service dans les écoles primaires où je circulais de classe en classe. Et comme j’étais jeune professeur, je n’avais pas des classes dans des bons quartiers et souvent, c’était assez difficile à gérer, c’était très fatigant et ça n’apportait pas grand-chose. Ça dépend des écoles. J’en ai eu plusieurs à l’époque, il y en a qui étaient meilleures que d’autres. Il y en a où on avait quand même des récompenses de l’effort qu’on fournissait. Sinon, c’était plutôt usant qu’autre chose et c’est vrai que c’est difficile de maintenir le travail de composition dans ces circonstances. Le travail de composition réclame beaucoup d’énergie et donc, ça m’a permis pendant deux ans d’être à l’abri, de laisser tomber ces fonctions et de travailler uniquement à ma composition.Franc-Parler : Vous avez un goût pour la poésie qui se retrouve dans un certain nombre d’œuvres, n’est-ce pas ?Édith Lejet : Oh, je le pense, oui. Et donc, quand on m’a parlé des Cent phrases pour éventails, c’est vrai que ces petits poèmes sont pour moi d’une si belle qualité, ce sont des poèmes qui ne me laissent pas du tout, du tout indifférente. Donc, j’ai été très attirée par ce projet. J’avoue que j’ai été assez enthousiaste parce que ces instruments sont beaux, ont des sons très attractifs. Et c’est nouveau, c’est tout un champ de recherche pour trouver à mêler toutes ces sonorités. En fait, ce ne sont pas des instruments qui sont faits pour jouer en groupe instrumental. Leur histoire les a toujours placés comme instruments solistes et éventuellement accompagnés par une percussion ou je ne sais, mais ce ne sont pas des instruments qui jouent souvent en ensemble instrumental comme ça va se produire au concert du 24 février. Je trouve que c’est une bonne idée d’associer des instruments baroques avec les instruments japonais traditionnels parce qu’ils se marient bien. Mais ça, je commence à m’en rendre compte maintenant parce que quand je travaillais, j’ai travaillé un peu dans le vague. Je n’ai entendu les instruments japonais que par des enregistrements et donc, je ne les ai pas entendus par rapport aux instruments baroques européens. Mais c’est vrai que ça fonctionne très bien ensemble. On m’a envoyé un enregistrement qui mélange ces sons et c’est vrai que ça donne quelque chose de très original. Je crois que l’idée de monsieur Teycheney est très belle. Je crois vraiment qu’il y a des choses à trouver.Février 2010Propos recueillis : Éric Priou
La compositrice Édith Lejet
Article mis en ligne le 1er février 2010
dernière modification le 23 mai 2023