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Fatou Diome, écrivaine franco-sénégalaise
Article mis en ligne le 1er mars 2010
dernière modification le 25 mai 2023
Fatou Diome : Les choix de la vie
 
L’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome est née à Niodior, une petite île sénégalaise difficile d’accès où le poids des traditions reste fort. Son roman, Le ventre de l‘Atlantique, l’a propulsée sur le devant de la scène littéraire. Elle sera présente à Tokyo le 7 mars pour un débat dans le cadre de la série de manifestations Femmes@ Tokyo organisée par l’ambassade de France et le Nikkei Keizai Shinbun.
 
© Arnaud Février Flammarion

Franc-Parler : Au Sénégal, la façon d’éduquer les garçons et les filles est assez différente ?
Fatou Diome : Oui parce que les garçons sont les rois n’est-ce pas, oui, ce sont les petits rois. Par exemple quand il y a des familles pauvres qui doivent choisir qui va aller à l’école et qui ne va pas aller à l’école, souvent on choisit de scolariser d’abord les garçons. Et puis dans l’éducation, on attend peut-être plus des garçons et les femmes sont un petit peu sous tutelle. Je crois que c’est quelque chose que j’ai refusé depuis l’enfance. Je suis élevée par des grands-parents. J’ai ma grand-mère qui m’élevait comme une fille mais qui m’apprenait à me débrouiller toute seule et j’ai un grand-père qui m’amenait à la pêche et qui m’élevait comme un garçon. Il lui arrivait de m’appeler « mon garçon ». Donc, ça m’a aidée peut-être pour passer ce barrage entre les garçons et les filles parce que dans mon éducation, il n’y avait pas de barrage. Par exemple, je suis partie de mon village, j’avais 13 ans et ça ne se faisait pas. Et à 14 ans, j’étais autonome : en ville j’ai loué ma petite chambre. C’était inimaginable et mes grands-parents ont accepté de me laisser faire. Ils ont pris le risque entre guillemets… Ce qu’on leur disait, c’est qu’il n’y avait que les garçons qui pouvaient avoir cette autonomie-là.. Je pense que c’est un frein au développement pour les filles.
 
Franc-Parler : C’est peu courant pour une femme africaine de devenir écrivain ?
Fatou Diome : Oui, parce que d’autant plus que moi je rêvais d’être journaliste ou professeur de français. D’où ma formation en littérature d’ailleurs. J’ai fait des études de Lettres modernes : c’était prof de philo ou littérature, mon rêve ou journaliste. Et l’écriture, c’était vraiment mon bol d’oxygène, mon refuge, quelque chose qui m’était nécessaire en permanence. Je le faisais sans vraiment oser m’imaginer un jour écrivain. Donc, vraiment c’est parce qu’un premier texte est sorti. Comme j’avais d’autres textes disponibles, c’est parti comme ça.
 
Franc-Parler : D’après les critiques, vous êtes très proche, ou marquée par le style du conte africain…
Fatou Diome : Non (rires), ça ce sont les Européens qui aiment dire ça et moi franchement, ça m’énerve parce que j’ai quand même fait une formation littéraire et la technique du conte n’a rien à voir avec la nouvelle ou le roman. C’est juste quand on est africain, on écrit, il y a des images, ils disent : c’est les contes. Mais non, dans Les Pensées de Pascal, on a aussi des maximes et on dit pas que c’est des proverbes. Je pense que c’est une critique exotique un peu facile. ça évite d’aller voir quelles sont nos sources. Moi, j’ai vraiment des sources qui peuvent être de la littérature africaine, de la littérature française. J’ai étudié à l’université de Strasbourg. Vraiment,j’ai n’importe quelle formation littéraire qu’on peut trouver en France. Donc, si je m’appelais Marie-Chantal Muller, on ne me dirait pas que j’ai un style de conte. (Rires)
 
Niodior

Franc-Parler : Justement, cette couleur de peau ou votre nom, qu’est-ce que ça fait dans votre carrière d’écrivaine en France ? Est-ce que ça joue ?
Fatou Diome : Peut-être pour des personnes qui analysent avec cette optique-là. Moi, je pense qu’un écrivain, c’est d’abord son style, la thématique, sa manière de sentir le monde. Vous savez, mon grand-père était pêcheur. J’ai mieux compris sa condition humaine en lisant Le vieil homme et la mer d’Hemingway, quoi. Donc, le taux de mélanine d’Hemingway n’a rien à voir dans ma compréhension de son texte. C’est juste qu’il me raconte une histoire humaine qui m’a aidée à mieux comprendre la vie de mon grand-père. Et je pense qu’un écrivain, un vrai écrivain, on ne lit pas uniquement pour les origines ou la couleur de peau. Je ne sais pas le rôle de la mélanine dans mon style.
 

Franc-Parler : Vous êtes originaire du Sénégal, un pays où on parle plusieurs langues. Votre langue d’origine n’est pas le français.
Fatou Diome : Moi, j’écris dans ma langue qui me permet déjà d’explorer mon imaginaire dans la langue qui me permet le plus de communiquer. Et je n’ai aucun complexe avec le français. Je n’ai pas le sentiment d’emprunter la langue d’autrui. C’est absolument ma langue, ça fait partie de mon héritage culturel. J’ai trouvé le français au Sénégal. Je me dissocie du ressentiment qui pouvait y avoir. Les aînés pouvaient parler du français comme d’une langue extérieure parce que eux, on la leur avait imposée. Moi, j’ai choisi d’aller à l’école, je suis allée à l’école de mon plein gré. Personne ne m’avait inscrite. J’ai voulu apprendre le français, je continue à écrire le français. Pour moi, c’est un héritage historique au Sénégal, je l’entendais autour de moi. Et puis en plus, il a une autre facilité. Comme on a plusieurs langues au Sénégal, on a l’habitude d’être polyglotte. Moi, j’ai parlé le sérère mais aussi le wolof et puis le toucouleur, le peul. Vous voyez, toutes ces langues-là fonctionnent simultanément dans le même espace géographique. Le wolof, c’est une langue étrangère pour moi aussi, c’est pas ma langue maternelle. Pourtant 80% des Sénégalais comprennent le wolof mais dans l’administration, le français étant notre langue officielle, c’est quand même la langue la mieux indiquée pour nous permettre de communiquer entre nous tous, toutes les ethnies confondues. C’est aussi pour ça que je ne me sens pas du tout en décalage si vous voulez.
 
Franc-Parler : À Tokyo, le 7 mars, pour l’événement Femmes@Tokyo, quels sont les sujets que vous allez développer ? De quoi allez-vous parler ?
Fatou Diome : Alors moi, le débat dans lequel je suis invitée s’appelle “Au-delà des frontières” et j’ai vraiment aimé ce sujet. J’aime beaucoup parce que c’est quelque chose qui traverse mon écriture depuis le début. Justement avec le français, écrire dans cette langue qui à la base, historiquement, n’est pas la langue de mon pays mais aussi parce que je vis en France. J’écris dans une langue mais aussi dans une aire géographique dans laquelle je ne suis pas née mais où je me suis adaptée. Et je trouve que l’écriture permet de transcender toutes ces frontières, il y a beaucoup de frontières artificielles qui n’ont rien à voir avec la quête intérieure de quelqu’un.
 
Mars 2010
Propos recueillis : Éric Priou
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