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Bruno Dumont, réalisateur du film Flandres
Article mis en ligne le 1er mai 2007
dernière modification le 23 mai 2023
Bruno Dumont : le cinéma de la réflexion
 
Utilisation d’acteurs non professionnels, un passé d’enseignant en philosophie, tous ces antécédents n’ont pas rebuté le Festival de Cannes pour attribuer à Bruno Dumont le grand Prix du festival pour son film Flandres. Refusant le totalitarisme de la comédie qu’il ne renie d’ailleurs pas, le réalisateur apporte au spectateur le tragique qu’il juge nécessaire.
 
Franc-Parler : Vous êtes viscéralement attiré par la terre…
Bruno Dumont : Essentiellement oui. C’est une bonne matière pour évoquer les choses les plus élevées, à mon avis. Donc, je suis cantonné à la terre. J’aime bien filmer le paysage, j’aime bien filmer les ciels, les arbres et j’essaie de trouver dans ces paysages une métaphore à l’exploration de choses humaines finalement.
 
Franc-Parler : Est-ce que votre film aurait pu s’appeler « Le bien et le mal » ?
Bruno Dumont : Je pense que 100% des films pourraient prendre ce titre Le bien et le mal parce qu’il s’agit toujours de la même question finalement. Et que ces questions sont des vraies questions, des interrogations et les œuvres d’art sont toujours à la recherche d’une explication, d’une évocation de cette difficile relation du bien et du mal.
 
Franc-Parler : Le thème de la guerre est assez présent dans Flandres. Vous avez choisi un pays non nommé musulman, est-ce que cela aurait pu être un pays d’Europe ?
Bruno Dumont : Oui, très bien parce que d’ailleurs, au début lorsque j’avais écrit le scénario, c’était plutôt l’Afghanistan. Ensuite, j’ai plutôt cherché en Europe centrale mais l’Europe centrale était assez verte et je voulais un contraste assez fort avec les Flandres. Et finalement je suis parti tourner en Tunisie si bien que j’avais un sol plutôt de sable et de minéraux qui contrastait assez fortement avec la verdure des Flandres. Et donc, rechercher justement une rupture. Cette guerre est effectivement un peu abstraite parce que je pense qu’il ne s’agit pas tellement d’évoquer une guerre historique ou politique ; ce n’est pas du tout mon sujet. C’est plutôt cette guerre intérieure qui taraude tous les hommes et qui fait de nous des combattants.
 
Franc-Parler : Une guerre intérieure ?
Bruno Dumont : Je pense que le cinéma, d’une façon générale, n’évoque pas l’extérieur, c’est-à-dire, n’évoque pas le monde. Il évoque notre relation au monde. Ce n’est qu’une représentation de notre lien au monde. Ce monde qui est toujours vu de notre cerveau, de nos yeux, ce monde objectif n’existe pas. Et les artistes qu’ils soient peintres, poètes, romanciers sont toujours à traduire finalement notre être au monde. Et cet être au monde, cette intériorité, c’est ce que j’appelle cette sensation du monde. Et je pense que dans Flandres par exemple, du début à la fin du film, on est à l’intérieur de Demester, le personnage principal. Et quand je fais un plan des Flandres, finalement ce n’est pas les Flandres, c’est le paysage intérieur, c’est nous. C’est l’évocation de soi, d’un désir, d’un besoin et le cinéma tend par ses plans et par son écriture à aller justement à cette représentation.
 
Franc-Parler : Ça porte à réfléchir…C’est l’intérêt des films n’est-ce pas ?
Bruno Dumont : Oui. Je pense que le film est un objet à méditer. C’est-à-dire que c’est quelque chose qui est très important et qui est un moment de non pas un divertissement comme l’industrie voudrait bien nous y incliner. Mais je pense que c’est un moment de méditation, de notre condition simplement, voilà, de notre vie. Pourtant c’est très simple, c’est : qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que la vie ? Et un film tente comme un roman, ou un poème de trouver une clé à cette énigme.
 

 
Franc-Parler : Vous avez choisi pour l’acteur principal un acteur non-professionnel…
Bruno Dumont : Ils le sont tous. C’est un choix qui vient de ma pratique. Moi, avant de faire du cinéma, j’ai fait beaucoup de films de communication interne pour les entreprises, pour les industries. Donc, j’ai beaucoup filmé des vraies gens. C’est-à-dire qu’il n’y avait pas d’acteurs, je filmais des cadres, des ouvriers et j’ai été bouleversé par la précision, par la justesse, par la force et par la puissance. Mes quelques expériences avec des acteurs professionnels m’ont toujours laissé un peu pantois. Ils sont surtout à l’œuvre de l’esprit. Ils essaient dans leur composition, dans leur travail d’incarner l’intention, le projet d’un réalisateur. Et moi j’estime que les projets de mon esprit sont un peu vains et ce n’est pas l’esprit qu’il faut incarner, c’est l’homme véritable. Donc, je préfère partir de l’homme véritable pour essayer d’aller à l’esprit. Je n’ai rien contre l’esprit mais je pense qu’il faut faire ce chemin humble plutôt que d’avoir un acteur comme ça qui compose une espèce d’idée. C’est la difficulté que j’ai rencontrée justement, je pense, dans la direction d’acteurs de composition qui m’a incliné à travailler avec des vraies gens. Mais qui sont des acteurs, c’est-à-dire qui jouent, ce n’est pas leur vie du tout. C’est un cinéma qui n’a rien de documentaire non plus, qui est totalement fictif. Je pense que la fiction a besoin de se nourrir de la réalité de l’acteur et que l’acteur se mêle à la fiction. Il joue mais il joue avec sa sensibilité comme il joue avec son corps. C’est son vrai corps qui est là. On peut le maquiller, on peut faire des petites choses : on peut l’accentuer, le diminuer mais la source, c’est quand même lui, sa matière psychologique, émotionnelle, ses instincts. Et c’est à partir de lui qu’il faut aller à la fois à l’action et l’esprit.
 
Franc-Parler : Vous avez également fait le scénario. Vous étiez intéressé de montrer vos idées ?
Bruno Dumont : Non, non justement. Moi, je ne crois pas à la puissance de mes idées. Je vais rejoindre un peu ce que j’étais en train de vous dire : un scénario, c’est une œuvre de l’esprit. On écrit quelque chose qui nous vient dans notre esprit et qu’on conçoit et je pense qu’il y a beaucoup de prétention, de velléités, d’approximations dans cette étape mais qui est nécessaire. Donc, j’écris un scénario mais quand je passe à la réalisation, j’essaie, si vous voulez, dans ma réalisation de trouver, de réaliser la matière de ce scénario. Donc, ce qui est en amont finalement. Donc, le film n’est pas une illustration de ce qui est écrit, c’est un retour à la cause de ce qui est écrit. D’où ma façon de travailler dans des décors bruts avec des êtres bruts, des dialogues bruts, qui reste un peu germinale. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de commencer. De toutes façons, le spectateur est là donc ce n’est pas…Je pense que le film n’a pas besoin d’être fini en fait puisque le spectateur, il a une capacité de lecture, de senti, de réactions qui fait qu’il faut lui donner quelque chose en partage. Moi, je crois beaucoup au partage et je crois beaucoup à la puissance du spectateur, de lire une image, de comprendre une ellipse.
 
Franc-Parler : Il a un cerveau…
Bruno Dumont : Il a un cerveau, et puis il a une culture, il a une sensibilité. Ce n’est pas une page blanche non plus. J’ai l’impression quand je monte un film, en fait, c’est le spectateur que je monte. Je le travaille de l’intérieur. Les images que je projette à la limite, ce sont ses propres images ou je lutte contre ses images, mais c’est lui que j’essaie de monter en quelque sorte.
 
Mai 2007
Propos recueillis : Éric Priou
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