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Férid Boughedir, réalisateur du film Un été à la Goulette
Article mis en ligne le 1er juillet 2000
dernière modification le 25 mai 2023
Le cinéma tunisien
Interview exclusive du réalisateur Férid Boughédir
 
Venu présenter son dernier film Un été à la Goulette à l’occasion du Festival du film méditerranéen 2000 (du 19 mai au 4 juin) organisé par la Fondation du Japon, le cinéaste tunisien Férid Boughédir évoque pour Franc-Parler le cinéma de son pays.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Quelle est l’optique du Festival du film méditerranéen ?
Férid Boughédir : Je suis toujours très content quand un pays essaie de diversifier le menu de ses spectateurs et de ses téléspectateurs qui sont condamnés à manger du hamburger américain et boire du coca-cola à longueur d’année. Bon, je n’ai rien contre le cinéma américain non plus parce que moi je suis un cinéphile et j’admire tous les grands réalisateurs de tous les pays. Mais c’est vrai que toute civilisation au monde a besoin de s’ouvrir à d’autres cultures et la puissance financière d’Hollywood est telle que ça devient de la monoculture. C’est-à-dire que les gens ont un modèle culturel dominant qui est américain et c’est dommage pour ce qu’on peut appeler les cultures sous représentées, pour être poli, car parfois on pourrait dire les cultures dominées. Chaque fois qu’il y a une initiative comme celle-là qui va montrer aux Japonais qu’il y a d’autres façons de penser, d’autres façons de rêver, d’autres façons d’aimer, c’est formidable car ça leur montre qu’il n’y a pas que la culture japonaise ou la culture américaine.
Les gens m’ont posé des questions pas seulement sur la culture mais aussi sur la situation politique, sur le problème au Proche-Orient, le processus de paix et tout ça. Ils m’ont dit : « Ah, on a enfin un autre point de vue que CNN, on est contents d’avoir un point de vue de l’intérieur. » Depuis l’Antiquité, c’est sain d’avoir pour tout être humain une variété de points de vue pour choisir, pour discerner soi-même et pouvoir dire : « Tiens, j’écoute le point de vue de l’un et de l’autre. » À force de consommer les images d’une seule culture, on devient un consommateur passif des images des autres avec tous les risques que cela comporte. C’est-à-dire qu’on va peut-être jusqu’à sous-estimer sa propre culture, vu qu’on la voit peu sur l’écran et on voit sans cesse la culture des autres, disons la culture des riches. Moi aussi je suis un grand partisan de ce que les Français appellent « l’exception culturelle ». Comme vous le savez dans toutes les négociations du commerce international, les Français sont un peu en tête en Europe pour dire : « La culture n’est pas une marchandise comme les autres. » On ne peut pas dire que c’est la loi du marché qui compte et que les gens adorent uniquement Titanic en leur donnant uniquement Titanic, il faut donner la chance au gens de voir des cinématographies qui viennent même de cultures minoritaires. Je suis convaincu personnellement que du plus petit village du Burkina-Faso en Afrique, un des pays les plus pauvres du monde, peut surgir un cinéaste qui soit l’égal d’un Kurosawa et malheureusement, vu la puissance financière de l’industrie d’Hollywood, ces images-là ont très peu de chance d’arriver aux autres.
 
Franc-Parler : Quelle est la situation du cinéma tunisien ?
Férid Boughédir : Le cinéma tunisien, c’est un cas un peu à part dans le monde arabe parce que la Tunisie est un petit pays, c’est même le plus petit du Maghreb, il n’y a que 8 millions d’habitants, presque 9 maintenant. Et comme marché de salles, on n’a que cinquante salles de cinéma, ce qui est très peu et en tout cas, ce n’est pas suffisant pour soutenir une industrie du film. Alors, ce que nous avons par contre de très précieux en Tunisie, c’est que nous avons depuis 1949 en tout cas un public très cinéphile parce qu’il y a une grande tradition de cinéphilie en Tunisie. Par exemple, en 1949 la Tunisie qui n’est pourtant pas un grand pays avait le plus grand nombre de ciné-clubs d’Afrique. Et dans chaque ville même la plus petite, il y avait un ciné-club. Et là, on passait les chefs-d’œuvre du cinéma mondial, si bien que tout cela a créé un public éduqué exigeant. Nous avons ajouté à tout cela le Festival de Carthage qui est le plus ancien festival de cinéma d’Afrique puisqu’il a été créé en 1966 et qu’il été consacré tout de suite à ce qu’on a appelé le nouveau cinéma arabe. Dans tous les autres pays, puisque c’était un peu la période des indépendances, dans les annése 60, commençaient à émerger des cinéastes, en Syrie, au Liban, en Jordanie, au Maroc, en Algérie. Et Carthage, c’est devenu le porte-parole du nouveau cinéma d’Afrique Noire et du nouveau cinéma arabe.
 
Franc-Parler : Que produit-on en Tunisie ?
Férid Boughédir : Le cinéma tunisien est un cinéma d’auteur qui ne produit pas beaucoup, on a 3 films par an au maximum, mais c’est un cinéma auquel notre public oblige à avoir un niveau artistique sufffisant sinon, il ne nous le pardonnerait pas. Les films d’auteur font un tabac en Tunisie. C’est-à-dire qu’ils battent tous les records de recette grand-public, mais ça c’est depuis une quinzaine d’années. Comme si le public avait tellement envie d’entendre sa propre langue, de voir ses propres images, qu’il est allé en masse voir ces films. Je suis l’auteur du film qui est le record absolu de recettes en Tunisie : L’enfant des terrasses qui a battu Rambo, Schwartzenneger. Ce qui est une vraie rareté. Je suis un peu optimiste mais je dis pourvu que ça dure parce que c’est un peu un âge d’or que l’on traverse.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Comment financez-vous vos films ?
Férid Boughédir : Il y a une aide de l’État qui est un peu sur le modèle français de l’avance sur recette. Le ministère de la culture et l’État donnent une subvention à fonds perdus, ce n’est pas remboursable. Cette somme représente en général le quart du budget parfois le tiers. C’est-à-dire qu’il faut quand même compléter le reste en faisant un peu du porte-à-porte ; le plus souvent, c’est avec l’Europe que l’on coproduit. On complète le budget en allant voir les chaînes de télévision que l’on peut appeler culturelles : tous mes films sont coproduits par Arte qui a presque pour mission de diversifier le menu culturel des téléspectateurs français. La France a une politique qui doit dater au moins de la révolution de 1789, de diversification des cultures avec l’idée d’égalité entre les cultures. Il y a quelque part cette fameuse Liberté Égalité Fraternité. Le système français s’applique aussi aux autres cultures. La France va justement aider un cinéaste malien comme Souleymane Cissé surtout à rester lui-même parce qu’elle veut diversifier, je dirais aider les cultures les plus différentes à exister sur un terme égalitaire.
 
Franc-Parler : Et au niveau de la diffusion ?
Férid Boughédir : Je suis avec Moufida Tatli qui a fait Le silence du palais et qui vient de faire le film La saison des hommes qui vient de passer en sélection officielle au Festival de Cannes 2000, l’un de ceux qui sont le plus exportés. Ces films ont été diffusés absolument partout, au Canada, aux États-Unis, en Europe avec un succès énorme. Je crois qu’il y a plusieurs effets qui peuvent donner du succès à un film, mais à la condition que cela reflète la culture locale et que cela a l’idée, à partir d’un point de vue local, d’accéder à l’universel.
 
Juillet 2000
Propos recueillis : Éric Priou
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