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La francophonie au Japon

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Alain Passard, chef du restaurant 3 étoiles Arpèges
Article mis en ligne le 1er décembre 1999
dernière modification le 25 mai 2023
Alain Passard, la flamme de la saveur
 
La consécration, depuis 1996, de 3 étoiles au Michelin qu’il a reçue comme « un véritable cadeau du ciel » n’empêche pas Alain Passard, le chef-propriétaire du restaurant Arpège à Paris, de se définir lui-même comme un artisan. Cette responsabilité par rapport à la cuisine française se traduit par une recherche constante dans son « atelier » parisien et l’amène à venir présenter sa carte et ses créations par-delà les frontières.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Que vous apportent vos voyages à l’étranger ?
Alain Passard : Le fait de voyager ouvre à une créativité dont j’ai besoin car la cuisine est un métier intensif et le fait d’être à Paris est quand même très prenant. Et ces petits voyages que je fais au Japon ou ailleurs me servent pour me ressourcer et revenir avec un maximum d’idées. Je suis très ouvert sur la découverte et c’est vrai que dans la cuisine japonaise, il y a des techniques de cuisson, des assaisonnements, des présentations, l’art de la table en général qui sont vraiment très intéressants et quant aux produits japonais, il y a toujours une épice, une herbe, un légume ou un fruit, quelque chose à retenir.
 
Franc-Parler : Vous avez une prédilection pour le homard…
Alain Passard : J’ai une relation avec le homard qui est assez forte, puisque dans la mesure où je suis un peu né dans un panier de crabes, je trouve que c’est un produit magique. Il a une texture, une saveur qui se prêtent à beaucoup d’assaisonnements et au-delà de l’assaisonnement et de la préparation, moi ce que j’aime, c’est sa cuisson. Je suis un homme du feu. En cuisine, c’est important de se déterminer : on est saucier, rôtisseur, assembleur et moi, je me détermine aujourd’hui comme un véritable rôtisseur parce que j’aime cuire. J’ai eu la chance d’avoir une grand-mère qui était un très grand rôtisseur et elle avait cette passion de la cuisson, cette passion du feu qui l’habitait. Elle était complètement obnubilée par la flamme et elle m’a appris à apprivoiser la flamme, à dompter le feu et elle m’a appris à cuire. Pour moi, la cuisson du homard, c’est tout un art parce qu’il y a une compréhension à avoir. C’est toute une approche, il y a du recul à avoir, une espèce de concentration qui fait que si on n’a pas tout ça, la cuisson du homard peut être très moyenne. C’est presque une messe, il faut bien le visualiser, de façon à bien mémoriser son volume, sa grosseur et ça vous traduira une espèce de « timing » de la cuisson de façon à préserver ce corps de homard qui est une véritable magie. Je serais tenter de dire que c’est presque une pulpe tellement c’est fragile, tellement c’est fin et tendre et savoir préserver cette souplesse de la chair, c’est une école et je l’ai appris avec ma grand-mère.
 
Franc-Parler : Vous ne prenez que des homards de Bretagne ? Utilisez-vous d’autres produits de cette région ?
Alain Passard : Pur Bretagne. Je travaille beaucoup avec des archipels, les Glénans notamment. Ce sont des îles où les homards se sentent bien parce qu’il y a une température de l’eau qui leur convient et puis surtout parce qu’il y a une faune aquatique dont ils se nourrissent qui leur permet d’avoir une saveur assez étonnante.
J’utilise aussi le sel de Guérande qui est un véritable volcan de saveurs et de parfums, un peu comme un poisson ou un crustacé. La fleur de sel de Guérande grâce à toute cette faune aquatique, donc, a des propriétés que la fleur de sel de Camargue n’a pas. On pourrait presque dire qu’elle est pauvre en sel et beaucoup plus riche en arômes floraux qu’un gros sel ordinaire.
 
Franc-Parler : Faites-vous vous-même l’achat des produits ?
Alain Passard : Savoir acheter, c’est savoir regarder et le regard sur un produit est déterminant. Si on prend le cas du poisson, ce sont les ouïes, l’œil, c’est son aspect visuel qui vont vous traduire la qualité du produit. Et c’est vrai que je suis très rigoureux car c’est quelque chose que j’ai appris très jeune. C’est vrai qu’en Bretagne, on a une riguueur un peu plus approfondie parce qu’on est nés autour des ports de pêche et on a été habitués très tôt à vivre au contact de la qualité du produit. Le beau produit, c’est le repos du cuisinier. Il ne peut rien vous arriver si vous avez un beau produit. Il suffit de faire une très belle cuisson et de mettre un copeau de beurre frais et un peu de fleur de sel ou une huile d’olive et puis c’est tout. Pourquoi vouloir compliquer les choses ?
Je trouve qu’aujourd’hui, on a un peu grillé les étapes dans la cuisine française et que les cuisiniers ont presque mis la charrue avant les bœufs. À 20 ans, ils font déjà de la création, alors où sont les bases ? J’ai commencé à faire mes premiers plats quand j’avais 30 ans et auparavant, c’est toute une école, l’école de la chasse, l’école du feu avec les cuissons, l’école de l’assaisonnement avec les condiments et les épices. Mais tout ça aujourd’hui, c’est un peu oublié aussi bien dans les écoles hôtelières que dans les restaurants. Je pense qu’il faut revenir sur la vérité de ce métier qui est un apprentissage des bases. Et à partir de là comme un architecte qui connaît ses bases peut commencer à dessiner, on peut commencer à penser aux harmonies de saveurs et aux accouplements des produits à travers une sensibilité. Mais ça n’arrive pas à 20 ans, on commence à avoir ces émotions-là à presque 40 ans.
 
Franc-Parler : Vous avez malgré tout reçu un deux étoiles Michelin à 26 ans…
Alain Passard : Oui c’est vrai, le Michelin a été très généreux avec moi. Mais c’est peut-être ce qui les a séduits, c’est que je ne faisais pas une cuisine compliquée et c’était une époque où j’étais en pleine ascension et où je travaillais énormément mes cuissons, mes assaisonnements. J’étais à la recherche de la découverte du sel et des épices. C’était aussi une période de correction, j’essayais de peaufiner l’assaisonnement de mes sauces, mes textures, mes consistances. Ça aussi, c’est toute une école.
 
Franc-Parler : Est-ce que le cru, l’opposé du cuit, vous attire également ?
Alain Passard : Oui, tout à fait, il y a des plats qui peuvent me séduire. J’ai un grand classique à l’Arpège, à Paris, qui est un carpaccio de langoustines au caviar. Et puis par goût, j’aime le poisson cru et les coquillages comme les coquilles Saint-Jacques.
 
Franc-Parler : Comment voyez-vous l’évolution des goûts ?
Alain Passard : C’est un peu à nous les cuisiniers de faire changer les choses. C’est un peu comme au théâtre. Ce qu’attend le public, c’est l’émotion, la surprise, le petit tour de magie dans l’assiette et aujourd’hui on pourrait traduire la magie de la cuisine française à travers une véritable création, une création intelligente. Ce que veut le public, c’est une cuisine qui a du relief, un vrai caractère, c’est une cuisine de vérité. On a affaire à un public connaisseur, ce sont des gens qui s’intéressent. Quand ils poussent les portes de l’Arpège, il faut savoir qu’ils ont déjà poussé la porte de tous les autres trois étoiles, et bon nombre de deux étoiles et une étoile. Ils ont envie d’être pris en main, d’être sous le charme de l’endroit, de la cuisine. Je crois qu’aujourd’hui, on va beaucoup plus vers une cuisine d’auteur, une cuisine d’homme. On sent que derrière, il y a un chef qui travaille, un chef qui est en permanence en train d’essayer de trouver le petit truc qui fera la différence.
 
Franc-Parler : Travaillez-vous beaucoup en fonction des saisons ?
Alain Passard : Les saisons sont très marquées chez moi. Il est important de préserver les produits par rapport à leur saison. Il faut savoir les abandonner quand la saison est terminée et quel bonheur quand on les retrouve l’année d’après. C’est quelque chose qui est primordial, que je respecterai toujours. Le public, aujourd’hui est un peu frustré de trouver des fraises au mois de décembre, je trouve que ça n’a pas beaucoup de sens. La fraise ne peut pas avoir un parfum en hiver comme elle l’a en saison. Ce n’est pas concevable parce que d’abord il n’y a pas les mêmes conditions météorologiques et même si elles viennent de pays chauds, il n’y a pas le sol. Ça reste pour moi un produit de saison.
 
Franc-Parler : Vous arrive-t-il de composer vos menus au vu d’un produit en faisant votre marché ?
Alain Passard : Mon pôle de créativité se situe essentiellement sur le marché parce que je suis très influencé par les couleurs, par les formes. La ligne d’un fruit, le dessin d’un crustacé m’inspirent énormément en plus des parfums et des saveurs. La couleur d’un fruit est une véritable lumière et quand vous avez un produit comme un oignon blanc qui a une telle clarté, vous sentez qu’autour de ce produit, il y a une créativité qui peut se faire. Et c’est très souvent en voyant les produits sur les étals des producteurs que des plats peuvent prendre naissance.
 
Franc-Parler : Comment conseillez-vous votre clientèle pour le choix des vins ? Avez-vous une préférence pour un vin particulier ?
Alain Passard : Je fais partie de ces chefs de cuisine qui aiment le vin. À l’Arpège, tous les achats sont faits en commun avec les sommeliers. Ce qui m’intéresse, c’est de faire découvrir au client. On a effectivement une carte de bordeaux, une carte de bourgognes, mais on réussit à faire découvrir d’autres régions françaises que ce soient le Sud-Ouest, le Languedoc, le Roussillon, les vins corses. Le client est séduit car pour lui, c’est un enseignement. Le vigneron est ravi car on parle de lui. Je n’ai pas de préférence particulière, ce que j’aime, c’est un beau travail, une belle réalisation où on sent que derrière il y a un personnage qui s’investit, un homme amoureux de son truc.
 
Décembre 1999
Propos recueillis : Éric Priou
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