Brodeuses, le fil de la vieLa réalisatrice Éléonore Faucher a été à la bonne école, celle commencée à la classe préparatoire aux écoles du cinéma du lycée Guist’hau à Nantes (créée par Philippe Jalladeau, le coorganisateur du Festival des 3 Continents), le tout entrecoupé des nombreuses séances de cycles de films d’art et d’essai au cinéma Le cinématographe. C’est un parcours obligé par l’école de cinéma Louis lumière, ponctué du prix du meilleur scénario junior (pour les moins de 28 ans) et qui se concrétise par le tournage de son premier long-métrage Brodeuses.Franc-Parler : Après plusieurs courts-métrages, vous avez fait un long métrage. Le fait de présenter un scénario de vous-même, c’était un avantage ou un désavantage ?Éléonore Faucher : Oh, un avantage. C’est très difficile en France de réussir à convaincre des financiers avec un scénario qui n’est pas de soi-même. Puis je pense que dans ce style de cinéma, qui est un cinéma d’auteur donc, effectivement ça amène une grande sincérité d’écrire soi-même l’histoire. Je pense qu’on est très attaché à son histoire et à la manière de la tourner, quoi.Franc-Parler : Pourquoi avez-vous choisi ce sujet pour votre premier long-métrage ?Éléonore Faucher : Je n’ai pas choisi un sujet. J’ai écrit sur ce qui est venu et après j’ai travaillé sur cette histoire. J’étais attachée à la relation forcée entre une femme plus âgée et une femme plus jeune, forcées par la nécessité en fait de travailler ensemble, qui va petit à petit évoluer vers autre chose. Comme quoi d’une certaine manière, on peut toujours trouver dans toute relation quelque chose de satisfaisant en fait. Mais l’histoire, elle est venue petit à petit, quoi. Je ne traite pas d’un sujet. Maintenant a posteriori, en regardant le film, si. Je sais que je parle du fait d’assumer la responsabilité d’avoir un enfant mais au départ, je ne le savais pas que j’allais par là.Franc-Parler : Les images, les scènes à la Vermeer sont très présentes. Avez-vous une préférence pour ce type de peintures ?Éléonore Faucher : Non, ce n’était pas du tout volontaire. Enfin, c’est du clair-obscur et il se trouve qu’effectivement, elle a un foulard sur la tête qui fait penser aux tableaux de l’école flamande. Mais non, pas particulièrement. Je préfère les peintres du début du XXe siècle en fait. C’est mon chef opérateur, je crois, qui est plus sensible à cette école-là et qui a fait apparaître cette image-là dans le film mais nos références étaient plus cinématographiques que picturales. Moi, j’ai montré à mon chef opérateur, à mon chef décorateur, La leçon de piano, un film de Jane Campion car c’est un film que j’aime beaucoup et dont je trouve que la direction artistique était très bien, bien dosée. Ni trop, ni trop peu, réussi quoi. Et puis les films de Terrence Malick, Les moissons du ciel par exemple.Franc-Parler : Qu’est-ce qui a été marquant dans vos études cinématographiques ?Éléonore Faucher : J’ai beaucoup appris en analyse filmique et j’apprends toujours en voyant des films et en discutant avec des gens autour de moi qui sont aussi passionnés par ça. Ce que j’en ai retenu, ce n’est vraiment pas résumable. Je pense que ça se voit dans le film. Mais c’est vrai que malgré tout, j’ai une formation d’images. Donc, je pense que c’est un point de vue qui est assez fort chez moi. Mais enfin ce n’est pas le seul. J’ai été aussi très attentive à la musique, à la vérité des personnages et des comédiennes.Franc-Parler : Comment avez-vous choisi les lieux de tournage ?Éléonore Faucher : L’action est située autour d’Angoulême et on l’a en partie tournée en Rhône-Alpes et en partie en Poitou-Charentes. C’est surtout un choix de production en fait parce que c’est une région qui subventionne beaucoup le cinéma et c’est pareil pour le Poitou-Charentes. Après, dieu merci, les régions françaises sont faites de telle manière qu’on trouve une grande variété de paysages et que j’ai été tout à fait satisfaite de ce ce que j’y ai trouvé. Mais l’autre avantage, surtout, c’est que près de Lyon, à Villeurbanne, il y a un studio et moi ça toujours été un de mes désirs de faire l’atelier de madame Mélikian en studio. Donc, ça a permis ça aussi.Franc-Parler : Comment avez-vous procédé au choix des actrices ?Éléonore Faucher : Il n’y a pas un critère, il y a une multitude de critères. Mais Ariane Ascaride, en fait, je l’ai rencontrée au festival d’Angers où elle a lu mon scénario. C’est un festival qui organise des lectures de premier scénario pour un public et ce sont eux qui m’ont proposé que ce soit elle qui le lise. C’est une expérience extrêmement forte, formidable, que je recommande à tous les scénaristes parce que ça aide énormément au niveau de l’écriture, à faire des choix après. Parce que dans la mesure où on entend son scénario dans la durée totale, donc dans le rythme réel, où il est interprété par un comédien, on voit ce qui ne fonctionne pas et en plus, on a les réactions du public. Donc, ça c’est vraiment un truc génial. Et Ariane, je la connaissais surtout à travers des films de Robert Guédiguian. J’avais donc une certaine image d’elle qui s’est complètement cassée dès que je l’ai rencontrée, parce qu’elle m’aime. Et j’ai beaucoup aimé l’interprétation qu’elle a faite du scénario à cette occasion et c’est suite à ça que je lui ai proposé le rôle. Le seul problème que j’avais avec elle, c’est que je la trouvais un peu jeune pour ce rôle mais elle a immédiatement accepté de se vieillir, de se durcir. Je me suis inspirée du personnage dans Rebecca chez Hitchcock, la femme majordome qui est comme ça très noire, très droite, très austère. Et donc, on a construit le personnage de madame Mélikian comme ça et elle est parfaitement rentrée dans ce personnage. Je crois qu’elle était contente d’ailleurs de sortir de rôles assez extravertis pour aller vers quelque chose de beaucoup plus rentré.Franc-Parler : La question de la transmission, les rapports parents-enfant, c’est quelque chose qui vous fascine ?Éléonore Faucher : Oui, oui, la filiation et la transmission, c’est vrai étaient présentes dans Brodeuses et seront de nouveau présentes dans le prochain film.Franc-Parler : Le traitement de l’histoire serait différent qu’il soit vu par un homme ou par une femme ?Éléonore Faucher : Le traitement de l’histoire est sûrement différent, mais j’espère qu’un père est aussi responsable qu’une mère de son enfant et j’espère qu’il estime aussi avoir des choses à lui transmettre, autant que la mère.Août 2005Propos recueillis : Éric Priou
Éléonore Faucher, réalisatrice du film Brodeuses
Article mis en ligne le 1er août 2005
dernière modification le 25 mai 2023