André Duhaime, haïkus du Québec
Les haïkus, ces poèmes courts si cactéristiques du Japon, ne sont plus l’apanage des seuls Japonais. Ils se composent aussi en français. Serait-ce le signe d’un renouveau poétique qui compte des auteurs très actifs comme le haïkiste québécois André Duhaime?
Franc-Parler: Vous êtes allé directement sur la poésie de type haïku?
André Duhaime: J’ai commencé par écrire des poèmes dits traditionnels. En 79, le premier recueil a été publié puis le deuxième en 84. Entre-temps, j’ai découvert le haïku, qu’on appelait haïkaï à l’époque, en lisant les romans de Jack Kerouac, notamment Les clochards célestes. Parallèlement, je découvrais le haïku et les poètes beat américains. J’ai lu la biographie d’Allen Ginsberg. Il y écrivait que Jack Kerouac était le meilleur des poètes d’Amérique parce qu’il savait écrire de bons haïkus. Je me suis demandé: «C’est quoi des haïkus?» J’ai fait quelques recherches, je suis allé à l’ambassade du Japon à Ottawa et j’y ai trouvé les diverses publications de Blyth et de Henderson sur le haïku japonais. J’ai lu des milliers de haïkus et j’ai continué à lire parce que je trouvais cette forme poétique complètement fascinante. Un poème, selon moi, je ne sais pas pour tous les autres poètes, vient généralement par fragments, on accumule le matériel, on construit, on compose, et finalement, ça donne un poème, comme ça donnerait une nouvelle ou un roman. Le haïku, au contraire, me permettait de garder dans une forme autonome, un fragment qui ne restait plus un fragment mais qui devenait un poème. Tout à fait bouleversant, révolutionnairement «autre». Par la suite, j’ai trouvé en français les anthologies Haïku de Munier et Fourmis sans ombre de Coyaud. Alors que mon deuxième recueil de poèmes était prêt, en 80, M. André Couture, des Éditions Asticou, s’est soudainement intéressé aux haïkus, en même temps que moi. Il m’a dit: «Ces petits poèmes, c’est plus intéressant que vos autres poèmes. Tout le monde publie des poèmes. Le haïku, je ne connais pas ça, personne ne connaît ça. Vous terminez un certain nombre de haïkus le plus rapidement possible et on les publie en recueil. On va prendre une chance.» Le deuxième recueil de poèmes a finalement été laissé de côté en faveur de Haïkus d’ici (1981), de Haïku: anthologie canadienne/Canadian Anthology (1985) et du recueil Pelures d’oranges / Orange Peels (1987).
Franc-Parler: C’est un genre qui était peu connu à l’époque et maintenant est-ce qu’il est plus répandu?
André Duhaime: C’était l’exploration, il y a 20 ans. Maintenant, c’est l’expansion! Au Canada, les Éditions David ont déjà une collection de recueils de haïkus et les Éditions Le Loup de Gouttière ont plusieurs titres dans leur catalogue. En France, l’Association française (et francophone) du haïku a été fondée en 1993. Il ne faut pas oublier Internet qui va au-delà de toutes les frontières, qui – pour le meilleur et pour le pire – donne accès à cette forme de poésie, tant à la théorie qu’à des milliers de haïkus.
Franc-Parler: Il y a certainement des approches différentes entre les haïkus japonais et ce qui se fait dans le monde francophone en particulier.
André Duhaime: Je pense que même au Japon, il n’y a pas «le» haïku, il y a différents styles, différentes écoles. Or, ce qu’on nous présente généralement encore maintenant, c’est un haïku monolithique: observer quelques règles fixes et on obtient un haïku. Différents styles de haïkus commencent à exister dans la francophonie aussi. Des haïkus qui tiennent compte de l’exploration des réalités occidentales. À côté de haïkus très bucoliques, très «poétiques», explorant les fleurs, les oiseaux, le traditionnel 5-7-5 – dont il ne faut pas nier la qualité quand ils sont réussis – il y a ceux et celles qui écrivent des haïkus plus expérimentaux (haïkus urbains avec gyrophares, néons, béton, acier, décibels et pollution – la vie moderne en somme), qui cherchent à traduire la ville. Durant ce trop bref séjour à Tokyo, je préfère déambuler sur les grands boulevards et dans les ruelles. La plus grande différence serait que les Occidentaux n’entretiennent pas de relation maître-élève, dans la pratique du haïku du moins: chacun est plus ou moins autodidacte, apprend au hasard des lectures, des rencontres et des ateliers d’écriture. De même pour le renku, les poètes ne composent pas leurs poèmes liés dans un même lieu, ni durant une même journée, mais par courriel sans contrainte; ainsi je travaille présentement à la composition d’un renku avec une poète japonaise qui vit à Paris alors que moi je réside au Canada.
Franc-Parler: Cependant le Canada est connu pour les espaces naturels, certainement une source d’inspiration importante pour beaucoup de personnes?
André Duhaime: La nature est présente. Il faut survoler le Canada en avion pour voir l’immensité de la nature souvent encore sauvage, l’omniprésence de la forêt et le nombre incroyable de lacs, lesquels n’ont pas tous un nom! Quand on habite à la ville, quand on passe la journée dans un bureau climatisé puis dans un appartement, quand on va au travail en autobus ou en métro, la nature quotidienne est acier et béton, verre et plastique, portable et ordinateur. On peut sortir le dimanche faire une promenade ou avoir un petit jardin à l’arrière de la maison. À noter que la moitié des Québécois habitent Montréal et sa banlieue. Bien sûr, c’est différent pour celui qui habite à la campagne ou une région éloignée. Quand même, dans le recueil collectif Dire le Nord (David, 2002), chacun des poètes participants a tenté d’évoquer en haïku cette nordicité, cette grande nature québécoise.
Franc-Parler: Vous êtes également enseignant. Est-ce que vous utilisez les haïkus?
André Duhaime: Comme travail régulier, j’enseigne le français langue étrangère aux immigrants. Il y a des groupes plus faibles et des classes plus fortes, donc il est plutôt rare que je puisse allier enseignement et poésie, puisque, pour la poésie, il faut un degré avancé de connaissance de la langue (syntaxe, vocabulaire, grammaire, etc.) pour comprendre les consignes, pour lire des exemples et pour composer. Toutefois, ça m’arrive de faire des haïkus en classe. L’an dernier, ce fut le cas. Nous avons fait le mini-recueil qui s’intitulait Mer blanche. Chaque étudiant avait pour thème de raconter en haïkus, de 5 à 10, le départ de son pays d’origine et son installation au Québec, dans la ville de Gatineau. Mer blanche a été photocopié à 25 exemplaires et distribué aux étudiants, en souvenir du cours.
Franc-Parler: Vous animez aussi des ateliers de création. Comment ça se passe?
André Duhaime: Il y a des ateliers qui se donnent dans des écoles, des bibliothèques et autres événements culturels: généralement, il y a présentation de la forme, lecture d’exemples, composition individuelle et mise en commun. Comme chargé du cours de création littéraire à l’Université du Québec en Outaouais, je propose différents exercices d’écriture aux futurs instituteurs: haïku, renku, calligramme, lipogramme, enfin différents jeux avec contraintes pour stimuler leur imagination, pour leur apprendre à faire ce qu’eux-mêmes seront appelés à demander à leurs élèves. Évidemment, le haïku étant à la fois un poème et un outil pédagogique extraordinaire, je me fais plaisir et fais en sorte que ces futurs enseignants sachent vraiment ce qu’est un haïku. Il y a également des internautes qui naviguent sur mon site et qui m’envoient des haïkus pour analyse.
Franc-Parler: Histoire de transmettre le haïku un peu partout?
André Duhaime: Oui. Ça, c’est mon obsession, ou ma passion. Ces différentes activités autour de la poésie, écriture, lecture, correspondance, animation, traduction, tout ça est une immense fenêtre sur le monde.
Octobre 2005
Propos recueillis: Éric Priou