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Le sculpteur québécois Claude Descôteaux
Article mis en ligne le 1er novembre 2011
dernière modification le 25 mai 2023
Claude Descôteaux - Le bronze pour peau
 
Céramiste et sculpteur, le Québécois Claude Descôteaux est venu trouver au Japon les techniques et les modèles de sa quête toujours renouvelée pour fixer le corps humain dans le plâtre et ultimement dans le bronze. Une résidence de plus de 40 ans ponctuée de nombreuses expositions.
 

Franc-Parler : Tu as un parcours assez atypique. Ta formation s’est déroulée dans différents pays…
Claude Descôteaux : Oui, parce que je suis allé un peu partout dans le monde, tu vois. Je me suis arrêté au Japon parce que j’ai eu une bourse d’études du ministère de l’Éducation québécois. Alors, j’ai finalement habité ici, enfin disons plus longtemps qu’ailleurs. Je suis venu par le Vietnam, parce que j’étais à Paris avec l’Académie des beaux-arts de Paris avant. J’ai fait deux ans à Paris et après je me suis arrêté un peu partout. En Égypte, j’ai travaillé pour des fouilles archéologiques à Abou Simbel. Tu connais, les années quand le gouvernement de l’Égypte de Nasser a fait le barrage à Assouan. J’étais là moi-même avec d’autres étrangers pour sauver le temple d’Abou Simbel. C’était un travail extraordinaire, enfin une belle expérience pendant les années que j’ai passées en Égypte. Après quoi, je suis allé à l’école des beaux-arts du Caire. Du Caire, je me suis dirigé vers l’Orient parce que j’avais une bourse pour le Japon. Alors, je suis entré à Kyoto comme étudiant étranger et je suis demeuré là pendant 4-5 ans. Et après coup, Tokyo où je demeure encore, à Kunitachi.
 
Franc-Parler : Tu utilises des techniques assez particulières : le “mane”…
Claude Descôteaux : C’est un mane que j’ai trouvé à Kyoto parce que le mane, ça vient de la Chine. Et la technique du mane, ça n’existe plus en Chine, ça existe seulement à Tokyo et à Kyoto à l’heure actuelle. Et c’est extraordinaire parce que le mane coûte moins cher que la cire perdue. Et également, tu peux mouler de grosses pièces, d’immenses pièces. La technique du mane est beaucoup plus rudimentaire… Enfin disons, avec le mane, on ne peut pas obtenir les détails que la cire perdue peut donner. La cire perdue, c’est avec des moules en cire tandis qu’avec le mane, c’est un sable carbonique, un sable qui est cuit avec des fils et ça durcit dans le moule. C’est un casse-tête, tu vois. On en fait un autre au-dessus et on coule le bronze entre les deux. Moi, j’aime beaucoup le mane parce que ça donne un caractère tout à fait spécial qu’on n’a pas en bronze avec la cire perdue comme Rodin. Rodin, il ne connaissait pas le mane. Ce qui est intéressant aussi au Japon, c’est pas uniquement le mane, c’est la texture qu’on donne au bronze. En France, ce sont des liquides qu’on applique sur le bronze une fois qu’il est coulé mais au Japon, c’est de la paille de riz. On brûle le bronze, quoi. Et ça donne une texture extraordinaire. On fait un feu de paille de riz. Avec de la paille de blé, ça donne pas la même texture. Et quand on finit, on coule de la cire par dessus. On mouille le bronze qui est encore chaud avec de la cire liquide et ça donne quelque chose de plus reluisant. J’aime bien la technique japonaise parce que la technique japonaise, c’est unique au monde. Car ils l’emploient encore au Japon, même 2000 ans après que la Chine l’avait employée, les Japonais ont continué à employer ce mane.
 
La jeunesse
©Claude Descôteaux

Franc-Parler : Tu as qualifié ton style de dualiste…
Claude Descôteaux : Ça veut dire que c’est fait dans une pièce qui est trouée, les vides se marient avec les formes. C’est une technique personnelle que j’ai trouvée et avec des amis, on a appelé ça dualisme parce que le dualisme, c’est quoi, en bon français, c’est une pièce avec des trous. Mais le trou lui-même se marie avec la forme, avec la structure elle-même. J’ai développé ça depuis 15 ans à peu près.
 
Franc-Parler : Tu t’intéresses en particulier aux différents types humains n’est-ce pas ?
Claude Descôteaux : Absolument. J’ai des modèles, ce sont tous des Orientaux, Thaïs, Chinois, Coréens, Japonais, Indonésiens, enfin c’est surtout d’Asie. Moi j’aime bien les Asiatiques parce qu’ils ont des visages qu’on ne trouve pas en Europe, ni au Québec non plus. Et c’est de sculpter justement ces yeux et cette ossature asiatique qui m’a toujours fasciné et ça me fascine encore. Et sculpter ça dans de la matière, enfin mettre ça dans le bronze, c’est réellement exotique. J’en ai vendu, j’en vends encore actuellement plusieurs mais c’est surtout des étrangers qui les achètent. Parce qu’ils sont intéressés par ces yeux bridés, les yeux qu’un sculpteur normalement n’emploie pas justement. Parce que moi, je les sculpte, je les travaille ces yeux. J’ai des yeux qui sont réellement fantastiques et mettre ça sur une pierre ou bien sur un bronze c’est réellement exotique. Avec le mane, avec la patine que j’emploie, la fumée de la paille de riz, ça fait des visages extraordinaires. C’est surtout les personnes âgées qui m’intéressent beaucoup plus ou bien un beau visage japonais ou oriental. Je les recherche dans les bains parce que je vais dans les bains publics. Et je m’adresse à eux, quand je trouve un personnage intéressant, disons qui est beau, qui a un visage avec une expression qui m’intéresse eh bien, je les invite à mon atelier. Alors, j’ai tous les personnages, tous les personnages que je veux. Les Japonais ne sont pas tout à fait désintéressés, ils acceptent actuellement.
 
La vieille qui ne voulait pas mourir
©Claude Descôteaux

Franc-Parler : Pour un sculpteur, vivre de son art, est-ce que c’est possible à l’heure actuelle ?
Claude Descôteaux : Disons que ce n’est pas facile. Moi, j’ai mon salon de coiffure qui m’aide à payer mes modèles et à vivre ici mais sans mon salon de coiffure, je pense que ce serait très difficile. J’ai monté un salon de coiffure, il y a une trentaine d’années, j’ai trouvé un garçon de Kyoto comme gérant. Il est encore là, ça fait trente ans qu’il est là, le gars. Il est toujours mon manager. Moi, j’y vais le matin pour leur parler de la journée. Après ça, je fous le camp vers dix heures, onze heures et je viens à l’atelier. Alors, ça m’aide à vivre, tu vois. Mais vivre de ton œuvre seulement… Les Japonais ne sont pas tellement intéressés à payer, disons, une pièce de bronze pour mettre dans leur maison. Je pense que c’est pas qu’ils ont pas d’argent mais je pense qu’ils sont pas tellement intéressés à mettre une pièce. C’est assez rare de rencontrer des Japonais qui vont faire des collections de bronzes, de sculptures à la maison. Ils vont faire surtout des collections de peintures, mais de bronzes, non.
 
Novembre 2011
Propos recueillis : Éric Priou
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