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La francophonie au Japon

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Le comédien et metteur en scène Robert Lepage
Article mis en ligne le 1er mars 2007
dernière modification le 25 mai 2023
Robert Lepage : le géographe du théâtre
 
Robert Lepage est convaincu de la nécessité de mêler les arts de la scène et ceux du multimédia. À l’issue de son interprétation de sa propre pièce Le Projet Andersen (juin 06 au Setagaya public Theater), reprise quelques jours après en japonais par le comédien-metteur en scène Akira Shirai, il trouva le temps d’en parler dans sa loge.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Plusieurs de vos pièces ont un lien fort avec le Japon…
Robert Lepage : Il y a de cela quinze ans, je m’intéressais beaucoup au théâtre traditionnel japonais. J’avais fait une espèce d’études : le kabuki, le gagaku, les origines du nô, le kyogen et tout ça mais je ne pensais jamais avoir l’opportunité de pouvoir venir, de visu, voir des productions ici. J’avais vu des productions qui avaient été importées en France, qui avaient été importées au Canada et c’est vraiment un producteur qui s’appelait Monsieur Tamura, ici au Tokyo Globe, à l’époque, il y a très longtemps quand même qui m’a invité à présenter des spectacles et qui m’a fait un peu connaître le Japon de l’intérieur. Au Canada, il y a un fond spécial qui s’appelle le Canada Japan Foundation que personne n’utilise [rires], moi je vais en profiter un petit peu. Alors je suis venu deux semaines et de là, j’ai fait un voyage à Hiroshima et ça a été l’inspiration pour Les sept branches de la rivière Ota. Alors on est revenus quelques années plus tard présenter ce spectacle-là.
 
Franc-Parler : Vous utilisez beaucoup les techniques ultra-modernes. Québécoises ?
Robert Lepage : Oui si l’on veut. C’est-à-dire que nous, on essaie de voir un peu comment on peut tirer une poésie des nouvelles technologies. Parfois elles nous encombrent, parfois, elles nous libèrent et puis nous, on a une espèce de studio à Québec qui s’appelle la Caserne Dalhousie et c’est là que l’on fait toutes nos expérimentations. Et puis parfois, il y a des spectacles qui en sortent qui sont des spectacles à technologie plus légère, plus réduite et parfois il y a des spectacles qui sont un petit peu plus démonstratifs.
 

Franc-Parler : « Elles nous encombrent », pouvez-vous préciser ?
Robert Lepage : C’est-à-dire que la technologie, elle est là pour nous montrer les choses différemment parce qu’on raconte finalement toujours les mêmes histoires et ce sont les technologies qui nous permettent parfois d’amener un certain éclairage ou d’exprimer des choses sur un thème qu’on n’arrivait pas à exprimer avant. Ce sont des jouets, au départ, ce sont de gadgets, ce sont des béquilles et il faut lentement les laisser tomber. Il y a un moment où on s’embourbe quand on commence à développer, le propos est étranglé par la forme. On ne peut pas commencer par la fin. Il faut commencer par le début et le début, ça veut dire beaucoup de choses, beaucoup trop de choses sur la scène et à un moment donné, on laisse tomber les béquilles. On laisse tomber les masques, on arrête de se cacher derrière la technologie et on ne garde que la technologie qui est essentielle pour raconter l’histoire. Ça fait quand même un an et demi que le spectacle [Le Projet Andersen] a été créé, on le reprend, on le remet sur la glace. Et à chaque fois, on se libère, on se déleste des images ou de technologies. Quand on a trouvé le propos, le propos, il vit tout seul, il n’a plus besoin d’être supporté d’apport technologique.
 
Franc-Parler : Est-ce le fait que vous soyez d’Amérique du Nord qui vous a influencé à utiliser des techniques modernes, ce qui se fait actuellement ?
Robert Lepage : Je ne sais pas. C’est vrai qu’au Québec...Le Québec est dans une situation assez particulière. Je ne sais pas pourquoi il y a eu un engouement à un moment donné au Québec pour les nouvelles technologies. Il y a de grandes écoles de formation maintenant à Montréal, les gens d’Ubisoft en France s’installent de plus en plus au Québec parce qu’il y a vraiment de grands infographes, des informaticiens et tout ça. Je ne sais pas ce qui fait qu’au Québec, on est très forts en mathématiques. Donc, quand il y a eu le virage technologique, le Québec évidemment a été beaucoup, si on veut, à l’avant-garde de beaucoup de technologies. Et ces moyens-là sont mis à notre disposition de façon assez facile, assez simple. Et comme la culture québécoise est une culture qui se définit, tout est à faire encore chez nous, il y a peut-être plus d’expérimentations, plus de recherches.
 

Franc-Parler : Ça n’a pas dû être facile au début de se faire reconnaître sur les scènes internationales…
Robert Lepage : Non, c’est curieux parce que moi j’ai toujours appelé ça d’une certaine façon. J’ai étudié la géographie, je voulais être professeur de géographie. C’était ça mon truc et je me suis retrouvé en théâtre comme ça. Et tout à coup, je me suis trouvé au conservatoire et je ne voyais pas comment j’allais pouvoir réconcilier la géographie avec le théâtre. Et c’est vraiment quand je suis sorti du conservatoire, que j’ai commencé à faire de la création, que j’ai réalisé que j’étais obsédé par le thème du voyage, la culture, les langues, les chocs culturels, même la géologie. On a fait un spectacle qui s’appelait Les plaques tectoniques, c’est vous dire à quel point ce rapprochement entre la géographie et le théâtre a toujours été très très présent dans mon travail. Et ça m’a amené à voyager beaucoup. Nous, les spectacles que l’on faisait à l’époque étaient beaucoup moins verbeux si on veut, c’était beaucoup plus axé sur l’image, axé aussi sur le thème du voyage. Ces spectacles, peut-être que ça invite aux voyages. Les présentateurs étrangers étaient beaucoup plus enclins à inviter un de nos spectacles qu’un spectacle qui est basé uniquement sur le texte.
 
Franc-Parler : Vous êtes donc seul sur scène pour Le Projet Andersen. Quelle est votre part dans l’utilisation des lumières, des sons…
Robert Lepage : C’est-à-dire que je suis à la base d’à peu près tout. C’est pourquoi dans le programme, c’est un peu ingrat pour les autres participants parce qu’on les appelle les assistants-créateurs mais c’est vrai qu’ils sont assistants. Mon écriture, elle n’est pas que verbale, j’improvise avec les lumières, avec le décor, avec la vidéo, avec les images, avec les ordinateurs. J’improvise avec tout ça et je fais des choix. Et il se trouve qu’à un moment donné quand on est l’interprète, le seul interprète dans le spectacle, on ne peut pas tout faire tout seul et il y a une série de gens, de spécialistes qui viennent et m’assistent. Même en tournée, il y a tous les assistants qui sont aux différents postes, tous les techniciens continuent d’explorer, ils me proposent des choses. On essaie de nouvelles choses tous les jours.
 
Franc-Parler : Cette œuvre est estampillée « work in progress », c’est-à-dire en devenir. À quel endroit…
Robert Lepage : Je sens toujours que le spectacle est complété quand je commence à sentir le besoin que quelqu’un d’autre le joue à ma place. Et c’est le cas en ce moment. Je sens qu’on s’en va vers une structure qui est à peu près complétée. Une écriture qui n’est pas terminée, qui va se terminer quand je vais diriger la personne qui va me remplacer. Parce que tout à coup, je vais avoir du recul. Tout à coup, je vais être dans la salle, je vais voir le spectacle pour la première fois et ça évidemment je vais avoir des chocs mais je vais être surpris à toutes sortes de niveaux. Il y a des choses qui fonctionnent. Moi, quand je le joue, je suis envahi par le doute, mais bon quand je vais le voir, peut-être il y a des choses qui sont plus claires que je pense. Il y a un travail de réécriture au moment où quelqu’un me remplace mais après cela, c’est pas mal fixe. Je dirais pour un bon moment en tout cas.
 
Mars 2007
Propos recueillis : Éric Priou
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