Claude Gagnon : Kamataki, la flamme de la viePour qu’il reprenne goût à la vie, Ken, un jeune Québécois de père japonais est envoyé au Japon chez son oncle japonais, un célèbre céramiste quelque peu déroutant. Voici en quelques mots la trame du film Kamataki et n’est-ce pas par plusieurs côtés, une certaine façon pour le réalisateur Claude Gagnon de retrouver son premier regard sur le Japon, découvert dans sa jeunesse ?Franc-Parler : Est-ce qu’on peut dire que vous êtes le plus japonais des réalisateurs québécois ?Claude Gagnon : Ça, je pense que c’est inévitable. Je pense que c’est quasi ma marque de commerce. C’est sûr qu’il n’y a pas beaucoup d’étrangers en fait qui ont vécu et travaillé au Japon. J’en suis quand même à mon troisième long métrage au Japon. J’avais fait en 78 Keiko. Par la suite, j’ai fait Revival Blues il y a 5 ans et après j’ai fait Kamataki. Donc, c’est sûr que le Japon a toujours été un pays un peu spécial, un peu privilégié pour moi. Je suis venu ici, j’avais 20 ans. J’y ai passé presque 10 années presque d’affilée. J’étais rentré au Québec seulement pour une courte période de temps à l’époque. Et toujours, toujours, le Japon est resté pour moi un pays important où j’ai toujours une dizaine d’investisseurs, où mes films ont toujours été distribués. Il va le rester jusqu’à la fin de mes jours, c’est sûr. Et ça m’a toujours donné une certaine liberté par rapport au système en place. Par exemple au Québec. Parce que nous, on travaille beaucoup avec les gouvernements. Les investissements viennent des gouvernements mais moi j’ai toujours eu des investisseurs privés du Japon… Disons, que j’ai parfois été capable de forcer la main des fonctionnaires, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose.Franc-Parler : Vous aimez aussi les traditions puisque le film Kamataki se base sur un potier…Claude Gagnon : Oui, mais ça c’est peut-être plus un accident de parcours. En fait parce que mon personnage principal, mon personnage japonais se devait d’être quelqu’un qui venait d’un milieu artistique. On a choisi la poterie, je dois dire que c’est venu… C’est un projet qui s’est étalé sur plusieurs années. Au début, c’était un peintre en fait même. Anthony Quinn devait jouer le rôle. Ça devait être un Américain, c’était pas un Japonais au tout début. Ce projet n’a pas fonctionné parce que justement Anthony Quinn est décédé en cours de route. C’était un long processus. Donc, la poterie, ce qui m’intéressait dans la poterie, c’était pas le fait que c’était traditionnel, mais c’était le fait que les potiers, les gens qui travaillent dans ce milieu-là sont des gens qui ne vont pas parler par les conventions, qui vivent toujours un peu en dehors de la société. Donc, même si on parle de tradition, quand on va à Shigaraki entre autres, quand on va dans toutes les villes de poterie au Japon, en fait, parce que j’en ai visité plusieurs… Moi, je débarque à Shigaraki, tout le monde me demandait : « Ah, tu travailles à quel four ? » Tous les étrangers qui débarquent à Shigaraki sont des potiers. Et parfois les gens se disent : « Ah, il a choisi quelque chose d’exotique », mais je regrette, mais au Japon, la poterie est omniprésente. Et au Japon, il y a des dizaines et des dizaines de milliers de potiers qui sont partout dans les villes, qui font ce métier-là. Donc, mon bonhomme, mon personnage principal est quand même pas quelqu’un de traditionnel. Son métier est traditionnel, mais lui comme tel, non. Et moi, j’aime beaucoup cette nuance qui est pour moi toute la différence au monde, c’est qu’on peut faire le métier le plus traditionnel au monde sans nous-mêmes être traditionnels.Franc-Parler : Un jeune Québécois qui arrive au Japon, il y a de l’étonnement. Mais est-ce qu’il y a des points communs entre l’esprit québécois et japonais ?Claude Gagnon : En fait, je dis souvent aux gens, ce qui m’avait amené au Japon il y a déjà de cela…un millénaire [rires]. J’étais venu en 1970, en fait quand j’avais 20 ans. J’étais venu parce que le Japon était le pays qui était le plus aux antipodes de ce que moi je connaissais. C’est-à-dire qu’en 70, tous mes amis, tout le monde partait pour la France. C’était le voyage beatnik québécois. On allait vers la mère patrie. C’était la tradition, on avait tous étudié Balzac. On vivait dans la littérature française, donc notre rêve à tous était, d’habiter, d’aller en France. Mais moi, j’avais plus le besoin d’être dépaysé et j’ai cherché sur la carte quel était le pays le plus aux antipodes de ce que je connaissais. Donc, le Japon qui est un pays insulaire, au niveau géographique, au niveau de la culture, au niveau philosophique, au niveau des religions, à tous les niveaux. Donc, je me suis dis : « Tiens, si je veux être dépaysé, ça va être formidable. J’ai rien de plus dépaysant que le Japon. » C’est un peu ce qui m’intéressait en amenant ce jeune ici, je parle dans Kamataki, c’était de le confronter justement à cette poterie qui correspond pas du tout à l’esthétique occidentale. Quand on regarde ce qu’on a dans la culture européenne, c’est toujours très beau, c’est toujours de très belles lignes, on attache beaucoup d’importance à la symétrie, des choses comme ça. La dynamique est complètement différente. Encore une fois dans mon film, j’avais pas envie de faire un film d’étranger, de souligner et puis de resouligner puis de parler de ces trucs-là…Ce qui est important quand je fais ce genre de film-là, c’est de mettre les choses en place et de laisser au spectateur le soin de découvrir et d’aller plus loin, de chercher, si le spectateur a envie de le faire. Puis sinon, c’est comme disent les Américains : « Too bad. » C’est regrettable.Franc-Parler : Une petite pointe quand même. Vous êtes un Québécois, on s’attendait à un film en français…Claude Gagnon : Oui, mais en même temps, c’est toujours la même chose. Moi, ce qui m’intéresse, c’est une forme de réalisme et c’était aussi la réalité parce qu’à Shigaraki, il y a beaucoup d’étrangers qui viennent pour étudier la poterie et si les Français venaient, parce qu’il y a surtout des Allemands et des Américains et des Australiens, forcément, ils devraient essayer de communiquer. C’est bien de vouloir imposer sa langue aux gens mais si on est en face de quelqu’un qui connaît pas trois mots de français, on a beau lui parler en français tant qu’on voudra, il ne comprendra pas un traître mot. On ne comprendra rien de ce qu’il va nous dire donc, on va peut-être arriver à lui dire : « Do you speak english ? » Et si le gars en face de nous dit : « Yes, a little » ; bah ça va se passer en anglais. Simplement pour des raisons de… des soucis, des besoins de communication. Donc, au Japon et à Shigaraki entre autres, il y a quand même quelques potiers qui parlent des rudiments d’anglais. Dans mon cinéma, moi, dans ma vie, j’ai tourné deux longs métrages en japonais, j’en ai tourné trois en français, deux en anglais. J’ai aucune idée de ce que va être le prochain… Ah ! Non, non, c’est vrai ! Le prochain est en français et en anglais parce que… Bon, c’est un western, c’est autre chose. C’est l’histoire d’un Québécois qui est devenu un cow-boy américain célèbre. Mais pour moi, la langue…Moi je suis d’abord et avant tout un artiste. Et autant je suis fier de ma langue, et autant je tiens à parler ma langue et à la défendre, moi ce qui m’intéresse, c’est des sujets, c’est des choses à véhiculer et si je faisais un film sur la défense de la langue, évidemment, je le ferais. Mais ce qui est d’abord important pour moi, c’est la communication et c’est de traiter d’un propos et de le traduire le mieux possible à l’écran pour le spectateur.Mars 2008Propos recueillis : Éric Priou
Claude Gagnon, réalisateur du film Kamataki
Article mis en ligne le 1er mars 2008
dernière modification le 25 mai 2023