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Muriel Barbery, auteure de L’élégance du hérisson
Article mis en ligne le 1er décembre 2008
dernière modification le 23 mai 2023
Muriel Barbery : au chevet des libraires
 
Le succès éditorial international (plus d’un million d’exemplaires vendus rien qu’en France) de L’élégance du hérisson a permis à son auteure, Muriel Barbery, d’abandonner sa carrière d’enseignante. Elle réside actuellement à Kyoto où elle restera bien au-delà de l’écriture d’un nouveau roman, qu’elle écrit à deux mains avec son mari, « partie prenante de son processus d’écriture ».
 

Franc-Parler : Vous avez débuté avec une première œuvre, Une gourmandise, sur la critique culinaire…
Muriel Barbery : Ce n’est pas un choix. Vous savez, à chaque fois que j’écris et d’ailleurs, j’ai écrit bien plus que ce que j’ai publié, à chaque fois que j’écris, je ne choisis pas les sujets. Ils s’imposent à moi d’une manière extrêmement bizarre et un jour j’ai écrit ce qui était probablement une des premières fictions que j’écrivais : une scène dans laquelle un vieux critique gastronomique, sur son lit de mort, se souvenait d’une saveur perdue. Mon mari l’a lue, il m’a dit : « Fais-en une nouvelle. » Donc, je l’ai étoffée, il a aimé et il m’a demandé d’en faire un roman. Je l’ai envoyé et j’ai été publiée. Voilà, l’histoire s’est passée exactement comme ça. Je ne sais pas pourquoi ce personnage a surgi, aucune idée. Je peux vous dire que j’aime manger, que j’écris par amour de la langue et que le vocabulaire, le lexique, la syntaxe liés à l’évocation des sensations sont extrêmement riches et porteurs. Mais c’était jubilatoire d’écrire des scènes d’évocation culinaire tout simplement parce que d’abord c’était plaisant pour moi puisque j’aime beaucoup manger et je crois que se nourrir est une des tâches importantes de l’existence. Mais aussi parce que ça permettait de déployer la langue. Vous savez, quand les gens parlent du vin, ça en devient même parfois ridicule. C’est autant le plaisir des mots que celui du goût qui s’expriment et je crois que c’était un peu mon cas.
 
Franc-Parler : Votre deuxième livre publié, L’élégance du hérisson, connaît un très grand succès de librairie. Il a été conseillé par les libraires, je crois…
Muriel Barbery : En fait ce qui s’est passé, c’est qu’alors qu’il n’y a pas eu beaucoup de presse, beaucoup moins que pour le premier roman, parce que les premiers romans intéressent beaucoup les journalistes, c’est nouveau mais les seconds romans en général n’intéressent personne, il y a eu dès le départ des libraires et des lecteurs militants qui ont conseillé le livre à leurs amis. Et bizarrement, c’est un livre que les gens offrent, quand ils l’aiment bien sûr. Quand ils ne l’aiment pas, non. Quand ils l’aiment, ils l’offrent en assez grande quantité et donc ça a fait un effet boule de neige comme ça qui a continué, qui continue encore. C’est incroyable.
 
Franc-Parler : Pour vous, c’était un prétexte pour retrouver ce que vous avez lu ou vos enseignements en tant que professeur de philosophie ?
Muriel Barbery : Ah non. Ça c’était plutôt un règlement de compte. C’est marrant parce qu’il n’y a pas tellement de passages philosophiques dans ce livre. Il y a peut-être une dizaine de pages sur plus de 300 qui sont consacrées directement à la question philosophique. On m’en parle tout le temps. Non, je me suis beaucoup amusée à régler quelques comptes avec l’enseignement universitaire de la philosophie.
 
Franc-Parler : Qu’est-ce que vous lui voulez à cet enseignement ? (Sourires)
Muriel Barbery : Ça m’a beaucoup ennuyée et l’université, c’est un lieu fourmillant d’intelligence et de talents. Mais aussi cette intelligence et ces talents sont, je crois, très très mal utilisés pour des raisons de carrière, d’impossibilité de créativité dans un milieu institutionnel et académique, pour des raisons diverses. Les études de philosophie, en particulier, c’est quand même quelque chose d’assez violent puisqu’il faut démontrer en permanence qu’on est intelligent et souvent ça passe par une certaine forme de jargon. Donc, j’ai beaucoup souffert parce que ce n’était pas ce que je cherchais.
 

Franc-Parler : Dans Une gourmandise, il y a un indice sur le lien avec le Japon avec un sushi. Ensuite on passe avec un monsieur Ozu, un Japonais esthète, dans L’élégance du hérisson. D’où vient cette envie du Japon ?
Muriel Barbery : Quand j’ai rencontré mon mari il y a exactement 16 ans, il était déjà fasciné par le Japon. Et moi, pas. Je n’avais aucune connaissance a priori sur le Japon. Il m’y a initiée au travers de la cuisine, bien sûr, mais aussi du cinéma, des mangas. Et je suis tombée amoureuse de la culture japonaise à distance. Et puis c’est devenu un amour pour nous deux de plus en plus fort et un rêve qui vient de s’accomplir.
 
Franc-Parler : Vous avez fait ce qu’il fallait pour l’accomplir…
Muriel Barbery : Je crois que quand on veut très très fort quelque chose et que c’est sincère, ça finit par se réaliser d’une manière ou d’une autre. Je ne pensais pas que ça se réaliserait sous cette forme. Je cherchais du travail ici, je regardais les postes culturels et puis il se trouve que le livre a eu du succès et que ça nous permet de vivre où on veut. Et où on veut, c’est Kyoto.
 

Franc-Parler : Ce soir, vous allez rencontrer le dessinateur de mangas Jiro Taniguchi…
Muriel Barbery : Je l’ai déjà rencontré, c’est la troisième fois qu’on se voit. Parce qu’il y a quelques projets en cours avec des éditions belges ou françaises concernant des préfaces ou des postfaces de certains de ses mangas. Et donc, j’ai eu la chance de le rencontrer, une première fois en mars, et puis une deuxième fois en juillet et nous avons pour lui une admiration incommensurable. Je pense que c’est un des grands artistes de notre temps et que le manga est considéré parfois avec un peu de condescendance, comme un genre honorable mais mineur. Alors qu’il comporte des catégories d’artistes très diverses : des moyens et puis des très bons. Et Taniguchi est un très très grand artiste.
 
Franc-Parler : Vous allez faire une conférence intitulée : Le français est-il bavard ? Vous avez un début de réponse ?
Muriel Barbery : Je suis en train de réfléchir à ce que je vais dire à ce moment-là. Mais L’élégance du hérisson a été très largement traduit, il y a à peu près 35 traductions en cours. J’ai pu vérifier certaines d’entre elles parce que je parle la langue : la traduction américaine, la traduction allemande. Et je trouve ça très fascinant de voir comment une langue transforme un texte quand on traduit ce texte et j’ai pris conscience du caractère extraordinairement bavard du français. Je trouve que c’est particulièrement intéressant à mettre en lumière et à discuter avec des Japonais parce que mon apprentissage ultra-naissant de la langue japonaise fait que je vois bien que ce sont des langues qui fonctionnent sur des principes totalement différents. Les Français aiment les fioritures, les Japonais aiment l’épure et c’est passionnant d’entamer le dialogue là-dessus.
 
Décembre 2008
Propos recueillis : Éric Priou
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