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La francophonie au Japon

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Le compositeur Luc Ferrari
Article mis en ligne le 1er avril 2002
dernière modification le 25 mai 2023
Luc Ferrari, du son à la musique
 
Enregistrer des sons, les retravailler et en tirer une musique : c’est le fruit de cette recherche toujours renouvelée que le compositeur Luc Ferrari, électron libre de la musique concrète, a fait partager lors du festival Luc Ferrari Japon - année zéro dépaysement de la musique, les 26 et 27 janvier 2002 à Tokyo.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Quel genre de matériel utilisez-vous ?
Luc Ferrari : J’utilise un magnétophone DAT et c’est tout. Enfin, quand je suis en voyage.
 
Franc-Parler : Alors, en voyage au Japon, avez-vous pris des sons ?
Luc Ferrari : Oui, bien sûr, tout est nouveau ici pour moi, la langue que je ne comprends pas du tout. Donc, c’est très intéressant quand on ne comprend pas une langue, on essaie de voir comment les choses s’organisent dans le langage et le bruit dans la rue, le métro, tout ça est nouveau.
 
Franc-Parler : Est-ce que vous songez à utiliser ceci pour une nouvelle création ?
Luc Ferrari : Oui sûrement. Pas entièrement, parce pour moi, ce sont des archives aussi, des choses que je vais peut-être utiliser un jour.
 
Franc-Parler : Quelles techniques utilisez-vous pour modifier les sons ?
Luc Ferrari : Je choisis, je fais un scénario, et j’entre tout ça dans l’ordinateur et je travaille sur Protools. Et là après, sur Protools, je fais le montage, je fais les modifications, je fais les ajouts et les mixages.
 
Franc-Parler : Est-ce que vous donnez la clef de votre scénario ?
Luc Ferrari : Non, ça reste pour moi, c’est une méthode de travail. Mais ça n’a pas d’intérêt, c’est comme si on joue une partition instrumentale, le public n’a pas besoin de voir la partition.
 
Franc-Parler : Vous parlez de travail. Pour vous la musique concrète, c’est plutôt un travail ou un plaisir ?
Luc Ferrari : C’est les deux. Si ce n’est pas un plaisir, je m’emmerde et donc il faut que ça reste dans une excitation, parce que c’est tellement difficile de composer et ça prend aussi énormément de temps. Donc, s’il n’y a pas le plaisir, à ce moment-là, c’est très difficile de continuer. Il faut maintenir l’éveil. Aussi bien chercher l’éveil des auditeurs en composant que chercher l’éveil du compositeur. C’est-à-dire qu’il faut que l’on reste éveillé, que l’on reste curieux et attentif à ce que le son soit intéressant et dans l’espace et dans le temps. La composition, c’est une construction du temps.
 
Franc-Parler : Vous faites appel à des enregistrements, mais vous êtes aussi attaché au piano.
Luc Ferrari : C’est que je suis un ancien pianiste. Donc, j’ai beaucoup travaillé pour le piano qui m’intéresse beaucoup, parce que c’est un instrument complet, qui est aussi très dynamique et très doux. Mais tous les instruments m’intéressent aussi, puisque je compose aussi pour l’orchestre symphonique. Ce sont pour moi des méthodes de travail complètement différentes, parce qu’évidemment, la musique instrumentale est beaucoup plus abstraite et la musique d’enregistrement qui est faite à partir d’enregistrements, a un côté réaliste, un côté narratif plus direct.
 
Franc-Parler : Vous travaillez pour la radio, pour le cinéma ?
Luc Ferrari : Pour le cinéma, non. En tant que réalisateur, j’ai fait des films documentaires sur la musique contemporaine. Mais je ne travaille pas pour le son du cinéma, ça ne m’intéresse pas trop et le cinéma commercial est trop commercial. Donc, je n’en fais pas. Je fais de la musique si je fais des films moi-même.
 
Franc-Parler : Et pour des films expérimentaux ?
Luc Ferrari : J’ai fait des films de ce type-là dans les années 50-60 où le cinéma avait un caractère expérimental. Là, maintenant, je fais des installations, des choses qui utilisent la vidéo d’une façon expérimentale. Mais là, je travaille tout seul, je ne travaille pas avec des réalisateurs qui ne sont pas moi-même en fait.
 
Franc-Parler : Vous revendiquez quels maîtres en musique ?
Luc Ferrari : Maintenant, je suis d’un certain âge et je n’ai pas la nécessité de me souvenir de la hiérarchie, mais je revendique des familles de musiciens qui sont ma famille et mes origines. Donc, en Occident, en Europe fatalement : Varèse, John Cage, Schaeffer, Pierre Henry, tous les gens que j’ai fréquentés de ma génération comme Stockhausen etc. Ce sont des gens avec qui j’ai eu des amitiés, avec qui j’ai vécu un moment et avec lesquels j’ai fait des expériences aussi. J’appartiens à cette génération des années 50 qui traverse un petit peu tous les mouvements musicaux de la deuxième partie du 20e siècle.
 
©新しい世代の芸術祭

Franc-Parler : Cette éclosion des années 50, c’est dû à des techniques ?
Luc Ferrari : Non, ce sont des esthétiques. Ce sont des esthétiques radicales qui ont eu un travail particulier d’abandonner la tonalité qui était encore une chose active dans la première partie du 20e siècle : Debussy, Ravel même, Bartók et Stravinski. Et dans les années 50, le dodécaphonisme et le sérialisme ont voulu rompre d’une façon extrêmement violente par rapport à toutes ces façons d’être esthétiques. Et donc, ont construit une espèce de méthode de travail qui comme toutes les méthodes devient académique. Ou on y reste, ou on en sort. Moi, j’en suis sorti tout le temps pour faire mon propre travail et mes propres expériences qui sont, disons, assez transversales. Les institutions, l’académisme ne m’intéressent pas. Je trouve que c’est une façon d’être un petit peu paresseuse, de se reposer sur des données du passé. Moi personnellement, je cherche toujours à traverser les choses.
 
Franc-Parler : Vous-même, vous enseignez, vous donnez des conférences ?
Luc Ferrari : Je donne des conférences, oui comme ici dans les universités. Je fais des symposiums de temps à autre sur des sujets précis. Mais je n’enseigne pas ; l’enseignement ne m’a jamais attiré, parce que ça fait une sorte d’institution de la pensée et on s’arrête quand on fait de la pédagogie. Et aussi le fait de devoir vivre avec un rythme permanent me fait peur. Si j’ai le même rendez-vous tous les 8 jours, par exemple ou deux fois par semaine, ça me semble insurmontable.
 
Franc-Parler : Pour la création musicale, vous créez à votre rythme ? Quand l’envie vous en prend ? Comment ça se passe ?
Luc Ferrari : J’ai des choses à faire qui viennent de moi-même et qui font que quand je termine quelque chose, j’ai déjà le besoin de commencer autre chose. Soit pour des commandes, soit pour des besoins personnels, des nécessités d’explorer mon imagination et à ce moment-là, quelle que soit la situation, commande ou pas commande, je travaille.
 
Franc-Parler : Des commandes de maisons de disques ?
Luc Ferrari : Par exemple en France, puisque je suis français, ça vient d’un orchestre, d’un groupe de gens, d’une institution et ça passe à travers le ministère de la Culture. C’est-à-dire à ce moment-là, un ensemble instrumental connu me commande quelque chose et c’est le ministère qui assure la commande puisque les orchestres n’ont pas d’argent. Ça peut être la radio, les institutions européennes.
 
Franc-Parler : Vous incluez des enregistrements de voix humaine, par exemple dans Far West News Nr.3 des commentaires sur l’affaire Clinton. Ce sont des morceaux choisis précisément ?
Luc Ferrari : Oui. Je suis dépendant, mais en même temps, à la recherche du quotidien : qu’est-ce qu’il se passe dans la vie ?, le jour où je suis là, en même temps qu’elle. Et il se trouvait qu’en 1998, c’était l’affaire Clinton et on en parlait beaucoup, tous les journaux ne parlaient que de ça. C’étaient les confessions de Clinton, c’étaient les attaques du procureur, c’était tout ça. Donc, je ne pouvais pas échapper à ce quotidien et je tenais à le représenter. De toutes les manières, je n’avais pas de problème, puisque les gens parlaient de ça dans la rue, dans les magasins, partout. Comme je relate un petit peu ce que je vis, je ne fais pas de commentaire, mais je recueille les commentaires des autres.
 
Franc-Parler : Êtes-vous pour la diffusion plus ou moins libre sur Internet ?
Luc Ferrari : Non, je n’y tiens pas. Internet pour moi, c’est intéressant comme documentation, mais le son est très mauvais et ça ne m’intéresse pas trop du niveau sonore. Par contre dans Internet, il y a de la documentation sur moi, on peut savoir quels sont les CD qui existent sur mon travail ; on peut les commander. Donc, Internet est très bien comme instrument de travail, mais en ce qui concerne la diffusion, c’est vraiment pour l’instant assez pauvre. Par la suite, ça fera sûrement des progrès.
 
Franc-Parler : Après le concert de Tokyo, qu’allez-vous faire ?
Luc Ferrari : Après, nous allons à Kyoto pour faire du tourisme comme tout le monde, mais en enregistrant toujours, bien sûr, s’il y a du son intéressant et s’il n’y a pas trop de vent. Le vent, c’est vraiment compliqué, mais on arrive toujours à trouver un endroit où on est à l’abri. En fait, l’enregistrement, c’est toujours d’avoir une idée et de chercher l’endroit qui permet de l’enregistrer. L’enregistrement, c’est une partie de l’imagination de la composition. C’est-à-dire, c’est le début d’une composition, mais c’est déjà un geste de compositeur. Ce n’est pas un geste de technicien.
L’idée vient de ce que j’entends avant et si le son me surprend, à ce moment-là, je cherche la position. C’est important de diriger, de voir comment le son se répercute sur les murs, de s’abriter du vent, parce que c’est l’ennemi particulier du preneur de son.
 
Avril 2002
Propos recueillis : Éric Priou
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