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La francophonie au Japon

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Le pianiste de jazz Jean-Michel Pilc
Article mis en ligne le 28 août 2018
dernière modification le 25 mai 2023
Jean-Michel Pilc - L’impro avec prépa
 
D’ingénieur polytechnicien, Jean-Michel Pilc est devenu pianiste professionnel de jazz à l’âge de 27 ans. C’est la musique qui l’a amené à quitter la France pour s’installer de 1995 à 2015 à New York où il a notamment enseigné l’improvisation à la NYU Steinhardt. Tout en enregistrant de nombreux CD, il se produit en solo ou en trio surtout en Europe, aux USA, au Canada et au Japon. Il a finalement posé ses bagages à Montréal qui l’accueille au sein de l’université McGill où il obtient la chaire de jazz. Ceci est la transcription d’une interview improvisée au sortir de son concert au Shinjuku Pit Inn.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : D’après ta bio, tu t’es mis tout seul, en autodidacte, au piano au jazz.
Jean-Michel Pilc : Oui, disons que ce qui s’est passé, c’est que j’ai commencé le piano classique avec une vieille dame, charmante d’ailleurs, quand j’avais sept, huit ans. J’ai travaillé avec elle pendant deux, trois ans. Elle m’a amené jusqu’aux sonates de Mozart et de Beethoven, [les plus] faciles plutôt. Et puis j’en ai eu marre du piano, j’ai arrêté le piano, je me suis mis à la clarinette. J’ai découvert le jazz, j’avais huit, neuf ans à peu près. Donc, j’ai commencé à vouloir jouer de la clarinette jazz. Puis à un moment, j’ai eu réenvie de jouer du piano et donc je me suis remis au piano. J’ai continué de mon côté, par moi-même à faire du classique et aussi à commencer à imiter au piano ce que j’entendais sur les disques de jazz. Et depuis, je n’ai jamais pris de cours. J’ai toujours travaillé tout seul, à partir des enregistrements, à partir de mes propres idées, à partir de mes envies. Mais tu sais, à l’époque, la majorité des musiciens étaient dans mon cas. Ils étaient autodidactes, il n’y avait pas d’écoles de jazz ou il y en avait peu. Tous les grands musiciens de jazz qu’on admire, des années trente, quarante, cinquante étaient pour la grande majorité autodidactes.
 
Franc-Parler : Ce qui est un petit peu étonnant pour moi, c’est que maintenant, tu es professeur d’improvisation.
Jean-Michel Pilc : Très ironique, n’est-ce pas. Tu sais, c’est quelque chose d’assez étrange parce qu’effectivement au début, quand j’ai commencé à enseigner, je me suis dit : « C’est complètement absurde d’enseigner aux gens un truc que j’ai appris tout seul et qui à mon avis s’apprend tout seul. » Je pense que le jazz, c’est basé avant tout sur la tradition orale, sur l’envie de chacun de découvrir cette musique, de l’aimer, de l’intérioriser si je puis dire. C’est comme un langage finalement. Mais après tout il existe bien des écoles de langue, des cours de langues, tu vois ce que je veux dire. Il n’y a pas une seule façon d’apprendre les choses, j’ai fini par découvrir ça. On peut apprendre à parler une langue dans la rue ou avec ses parents et ses amis comme on peut découvrir et apprendre une langue à l’école. J’ai découvert que je pouvais faire partager mon expérience à des étudiants de l’école et mon expérience étant très différente de celle de la plupart des professeurs qui enseignent de manière très didactique, j’enseigne de manière très intuitive, pas du tout théorique. Basée sur la physicalité, basée sur des exercices rythmiques, des exercices de chant. J’enseigne la musique comme je l’ai apprise et ça donne une méthode d’enseignement qui finalement est assez unique parce qu’il n’y a pas grand monde qui enseigne comme moi. Ça doit être beaucoup plus difficile parce qu’il n’y a pas de méthode. C’est vraiment quelque chose que tu fais, comment dire, en adéquation avec chaque étudiant. Chaque étudiant est différent, chaque fois que j’ai un étudiant, ma « méthode » change et je deviens un autre professeur d’une certaine manière.
 
© Robbert Kamphuis

Franc-Parler : Est-ce qu’il y a quand même une idée directrice, un fil conducteur dans l’improvisation que tu leur transmets ?
Jean-Michel Pilc : Oui, le rythme, la mélodie, la basse. Pour moi, ce sont ces trois éléments, si tu veux. J’ai découvert que beaucoup de gens improvisaient sur des grilles d’accords en jazz, des accords qui se suivent. Et les gens improvisent dessus, un peu comme des machines. C’est un peu le problème de beaucoup d’écoles. Elles ne t’apprennent que ça. Et tu as des gens qui arrivent à jouer des morceaux dont ils ne connaissent même pas la mélodie. Juste pour faire blabla sur la grille d’accords. Pour moi, l’improvisation, c’est basé avant tout sur le rythme et la mélodie, la basse. C’est ce que j’appelle la bibliothèque. Ça tient les bouquins à droite, la mélodie, à gauche c’est la basse et au-dessous, c’est l’étagère, c’est le rythme. Et c’est basé là-dessus : comment entendre une mélodie, comment la chanter, comment la transposer, la jouer, l’entendre dans tous les tons. Comprendre la musique comme un langage et pour moi, ces trois éléments-là, sont un peu les fondations du langage. C’est un peu le sujet, le verbe, le complément, tu vois. Et donc, beaucoup de choses que je travaille avec mes élèves sont basées là-dessus. Et aussi, on joue beaucoup ensemble. Je joue beaucoup avec eux. J’ai deux pianos dans mon bureau donc on fait des duos de piano. Je joue avec eux dès qu’ils jouent d’autres instruments.
 
Franc-Parler : Je te coupe.
Jean-Michel Pilc : Je t’en prie.
 
Franc-Parler : Vous jouez avec eux à l’université, vous jouez avec eux aussi en concert ?
Jean-Michel Pilc : Les deux. À l’université dans le cadre des leçons ou des classes et dans le cadre de concerts. Il y en a qui m’appellent des fois, qui me disent : « Tiens, j’ai un concert dans tel endroit. Est-ce que ça vous dirait de jouer ? » Ils sont toujours un peu gênés parce que ça paie trois francs et puis ils ont toujours peur que je dise non. La plupart du temps, je dis oui parce que je trouve que ça fait partie de mon rôle. C’est important pour eux et pour moi.
 
Franc-Parler : En tant que Français installé aux États-Unis puis au Canada, quel a été l’accueil ? Parce que le jazz, c’est plutôt quelque chose qui vient des États-Unis.
Jean-Michel Pilc : Je ne me suis jamais trop préoccupé de ça. Je veux dire que je ne me considère même pas tellement comme Français. Je ne veux pas faire de la peine aux patriotes, j’aime beaucoup la France par beaucoup de côtés mais je me considère avant tout comme une personne, comme un citoyen du monde. Tu vois, ça n’a jamais vraiment été très important pour moi. Je n’ai jamais vraiment fait très attention. J’ai découvert sur le tard (peut-être ai-je été un peu naïf pendant pas mal d’années), qu’il y a des gens qui se servent de ça en permanence. De leur couleur, de leur race, de leurs origines, de leur nationalité, de leur machin, de leur truc. On tombe dans une espèce de vision politique de la musique et moi personnellement, je n’aime pas du tout. Moi, je me considère comme un musicien. Quand je joue comme ce soir, je ne suis pas français, je suis moi. Je joue, je suis sur une autre planète quand je joue. Je suis ailleurs, je ne suis plus au Japon non plus d’ailleurs. Je ne prête pas tellement attention à ça. Je pense, si on voulait être totalement honnêtes, que les Américains font peut-être pas mal d’efforts, même s’ils ne le montrent pas, pour garder le marché du jazz à eux, voilà. Donc, je pense que j’aurais probablement… J’ai rencontré, disons, certains obstacles que je n’aurais peut-être pas rencontrés si j’étais né aux États-Unis. Après vingt ans à New-York, je peux le dire tranquillement, parce qu’il y en a qui, je trouve, profitent un peu de la situation en sens inverse et je n’aime pas tellement ça. Mais, bon je n’en fais pas une maladie. J’ai un bon job à McGill, à Montréal. Je suis très heureux là-bas, je suis très bien accueilli. J’ai rencontré plein de musiciens extraordinaires dans ma vie donc je me considère vraiment comme tout à fait comblé.
 
© Robbert Kamphuis

Franc-Parler : On n’aura pas de titre de CD solo en français alors, si je comprends bien.
Jean-Michel Pilc : Je n’y suis pas opposé mais il faut quand même reconnaître que la majorité de la planète jazzistique parle anglais. J’aurais pu appeler mon disque en français. Il se trouve que…Oh, tu sais un titre de CD, ce n’est pas très important. Souvent, j’ai donné des titres à mes CD, j’ai demandé à mes musiciens : « Comment je devrais l’appeler ? Qu’est-ce que vous en pensez ? » Comme la plupart sont anglophones et pas francophones, ils prennent des titres en anglais. Ce ne sont pas des choses très importantes de toute manière. Si ça ne tenait qu’à moi, j’appellerais le CD, CD1, CD2, CD3 et les morceaux je les mets, un, deux, trois. Je ferais simple.
 
Franc-Parler : Est-ce que le jazz est une musique savante ?
Jean-Michel Pilc : Oui et non. Tu sais, toutes les musiques sont savantes. Si tu écoutes Beethoven, Brahms ou Wagner… C’est un niveau de complexité. C’est comme tout art. Si tu regardes les toiles de Picasso, il y a un truc énorme derrière. Il y a une pratique énorme de la peinture. Tu regardes les structures de Rodin, tu as une pratique énorme de la sculpture. Tu écoutes les grands musiciens de jazz ou les grands musiciens classiques, tu as une connaissance énorme de la musique. Écoute du Bach, c’est extraordinaire ce que ce monsieur avait dans le cerveau. Oui. Ce n’est pas le jazz, c’est la musique en général, si tu n’as rien dans la tête, à mon avis, tu ne peux pas vraiment faire de la bonne musique. Et non, parce que ça reste avant tout basé…la musique c’est quand même basé sur l’émotion. C’est-à-dire que les gens qui sont assis dans une salle de concert, ils ne sont pas là pour que tu leur expliques quelque chose. Ils ne sont pas là pour que tu leur fasses un cours. Ça c’est un peu le problème du jazz mais aussi de la musique contemporaine parfois. C’est un peu didactique, on va dire. Il faut que ça soit hermétique à tout prix. Moi, je crois que sans tomber dans…il ne s’agit pas non plus de se prostituer et de jouer des trucs juste pour la galerie. Mais je crois aussi que c’est important que les gens reçoivent quelque chose d’émouvant, qu’ils soient émus. Il y a beaucoup de musique ces temps-ci qui ne m’émeut pas. Elle est très bien faite. Une technique terrible derrière, les gens sont super forts et il n’y a pas d’émotion. Alors, c’est peut-être moi, c’est très subjectif et très personnel. Mais pour moi, la musique, c’est avant tout une émotion. Alors justement tu utilises, comment dire, une source d’informations très complexe pour générer à la fin quelque chose qui semble très simple. Si tu écoutes les symphonies de Beethoven, elles sonnent d’une grande simplicité alors que ce sont des choses extrêmement complexes. C’est ça pour moi le génie à l’état [pur]…Pour moi, c’est ça le grand génie, c’est de changer cette énorme somme d’informations et d’en faire quelque chose de simple, d’accessible et d’émouvant.
 
Franc-Parler : Le public du jazz est-il essentiellement masculin partout dans le monde ?
Jean-Michel Pilc : Non, ça varie. C’est très curieux, ça varie énormément. Par exemple ce soir, ça l’était mais j’ai fait une workshop hier et c’était quatre-vingt-dix, quatre-vingt-quinze pour cent des femmes. C’est très variable, c’est vraiment très très variable. Je ne pense pas que ce soit comme ça…Par contre, au niveau des musiciens, c’est vrai qu’il y a quand même une grosse proportion d’hommes, ce qui est dommage. Enfin, c’est comme ça pour l’instant mais c’est vrai que ça tend à changer aussi. Je vois de plus en plus de super musiciennes qui apparaissent sur la scène du jazz et je m’en réjouis. Il y en a de plus en plus. Je crois que ce sont des choses qui s’équilibrent naturellement mais ça prend du temps. C’est comme tout. C’est comme tout ce qui est important, ça prend du temps.
 
Franc-Parler : Je saute du coq-à-l’âne. Pour la musique, l’improvisation, est-ce que tu as un fil conducteur ? Lorsque tu joues sur scène, tu as le public, ça dépend de ton humeur, ça dépend du temps, ça dépend de quoi ?
Jean-Michel Pilc : Ça dépend de tout. De tout et de rien, c’est-à-dire que… je n’ai toujours pas réussi à résoudre le mystère de pourquoi certains soirs, ça marche et d’autres soirs, ça ne marche pas ou moins bien. Ce soir, j’étais content. J’ai trouvé que ça marchait bien. J’étais relax, j’avais des idées dans la tête. Il y a d’autres concerts, j’en ai fait un récemment où tu arrives, il y a l’instrument et tu es vide. Tu as l’impression que ça va être bien des fois. Et puis, tu ne sais pas, il y a quelque chose qui n’est pas là dans la tête. Et puis il y a des soirs où tu es fatigué, tu es décalé, tu n’as pas envie de jouer, tu es de mauvaise humeur, tu arrives et ça sort. J’ai joué avec un guitariste, un très grand musicien, il n’y a pas longtemps. Et il y a un soir où il était dedans et un soir où il n’était pas dedans. J’ai moins entendu la différence que lui. De toute façon, on la ressent plus évidemment quand c’est soi-même, mais il m’a dit : « Ah hier, j’avais de la musique, aujourd’hui, j’en ai pas. » Et on vit tous ce truc-là en tant que musiciens. Tu sais que c’est pareil chez les musiciens classiques. Si tu lis les notes de Richter. Il dit : « Là, j’ai super bien joué ça la veille et puis là, c’était horrible. » Tu sais, le cerveau, c’est un truc organique. Ce n’est pas une machine et il y a certains soirs où la chimie est bonne, certains soirs où elle ne l’est pas. C’est un mystère, je n’ai toujours pas réussi à le résoudre et il est bien évident que je n’ai même pas essayé. Mais le fil conducteur, je pense que c’est ton envie. C’est pour ça que tu as un problème les soirs où tu n’as peut-être pas cette envie autant que tu devrais l’avoir. La musique t’amène quelque part. Quand tu es dedans, la musique t’amène quelque part, tu le sens. Là, il y a des moments où j’ai senti la musique me faire jouer des choses que je disais « Tiens ! Ah bon, Ok. Pourquoi pas ? » J’essaie de ne pas résister dans ces cas-là. Dès que tu résistes, tu te casses la figure.
 
Franc-Parler : Est-ce que tu gardes une trace enregistrée de chacun de tes concerts ?
Jean-Michel Pilc : Oui, j’enregistre tous mes concerts. Ça ne veut pas dire que je les écoute tous. D’abord, je ne pourrais pas, je deviendrais fou. Je serais écœuré au bout d’un certain temps. Mais j’ai envie de garder une archive. Je pense que c’est bien, peut-être que je suis un peu mégalo et que je pense que peut-être dans le futur, les gens découvriront cette musique plus qu’ils ne l’ont découverte de mon vivant. C’est arrivé à des artistes dans le passé. Je fais peut-être le syndrome de Schubert et Van Gogh, va savoir. Quoique j’aie plus de succès que Van Gogh. Le pauvre, regarde. J’ai vendu plus qu’une toile dans ma vie. Non, je ne sais pas, j’ai envie de garder une trace. C’est dur à expliquer, j’ai envie. Et je ne peux pas ne pas en enregistrer un parce que si je n’en n’enregistre pas un, je me dirai : « Et si c’était le meilleur de tous ? » Je le fais automatiquement. C’est-à-dire, je pose ma machine dans le piano et je joue. Je ne m’en occupe pas et je n’y pense pas. C’est un peu un automatisme.
 
Franc-Parler : Les amateurs auront de quoi se réjouir.
Jean-Michel Pilc : J’espère. On verra. [Ça restera dans l’ordinateur de toute façon]. Soit ça sombrera dans l’oubli, et mes enfants l’écouteront. Soit ils feront plein d’argent avec ça et puis tant mieux. J’espère que mes enfants pourront faire des sous avec. Dans tous les cas de figures, c’est toujours positif. J’ai ça et puis voilà. On verra.
 
© Robbert Kamphuis

Franc-Parler : Tu joues en solo mais tu joues aussi « trio » dans différentes formations. Est-ce que c’est bien d’être fidèle aux mêmes personnes ou…
Jean-Michel Pilc : Pas forcément. Oui et non. C’est encore un oui et non là. C’est-à-dire que quand tu joues beaucoup avec les mêmes personnes et que ce sont les personnes qu’il te faut, si c’est pas les bons… si ça colle pas, ça colle pas. Tu peux faire trois cents concerts… Mais c’est comme un couple. Si tu n’aimes pas la personne et que tu te maries en espérant. Eh bien ça ne marche pas. Quoiqu’il y ait des exceptions. Mais, tu joues beaucoup avec les mêmes personnes, tu développes quelque chose. Mais parfois tu joues avec des gens avec qui tu n’as jamais joué, il se passe quelque chose d’extraordinaire. De nouveau, c’est comme dans la vie où tu tombes amoureux d’une nana, je parle, je suis plutôt hétéro, je parle pour moi pour l’instant. Tu tombes amoureux d’une personne du même sexe ou du sexe opposé, ça dépend de tes goûts ou de tes affinités, des fois ça prend six mois, un an, deux ans et des fois ça prend une seconde. Eh bien en musique, c’est pareil. Tu peux avoir cette espèce d’expérience d’amour qui se développe et tu peux avoir le coup de foudre, jouer avec deux gars que tu ne connais pas et puis c’est extraordinaire. Ça arrive.
 
Franc-Parler : J’aurais une dernière question pour ne pas abuser. Quelle mouche t’a piqué ? Tu étais polytechnicien, tu as travaillé comme ingénieur et tu es passé à la musique.
Jean-Michel Pilc : Ce n’est pas une mouche qui m’a piqué. C’est moi qui ai pris conscience d’un truc, si tu veux. Car j’ai fait des études. Bon, étant vu que j’étais bon à l’école donc j’ai fait Maths sup, Maths spé, l’X comme on dit, l’école des Télécoms. J’ai commencé à bosser à TDF à l’époque, Télédiffusion de France, qui est devenue je crois un bout de France Télécom. Et j’ai commencé à en parler, à jouer avec des gens, de très bons musiciens que j’ai rencontrés d’ailleurs à l’école des Télécoms, les frères Moutin avec qui accessoirement je joue toujours. Depuis…trente-cinq ans maintenant, incroyable. Et plus j’ai joué, plus je jouais, plus je jouais avec eux, plus je commençais à faire des jams, je commençais à faire des concerts, à rencontrer des musiciens. À prendre confiance en mon jeu, m’apercevoir que je pouvais faire des progrès, que ce que je faisais avait une valeur, que je pouvais jouer avec des super bons musiciens et il se passait quelque chose. J’ai commencé à me dire : « C’est ça ta vie. » Et j’allais au bureau tous les matins avec une sensation d’absurdité. Et je ne critique pas du tout, j’ai toujours été très respectueux des gens avec qui je travaillais. De mon travail, etc. que j’essayais de faire bien, vu que je n’étais probablement pas le meilleur ingénieur de la terre parce que c’était pas mon truc depuis quelques mois. Mais, à un moment… Je refais encore la même comparaison. C’est comme le gars qui est marié, qui a une femme, tout va bien. Il tombe amoureux, il a une double vie. Et puis un jour il s’aperçoit qu’il faut qu’il suive l’amour. Il faut qu’il suive la personne qu’il aime et non pas celle que peut-être il aime différemment, moins ou plus. Eh bien, ça c’est passé comme ça exactement. La musique, c’était ma passion. Il a fallu que je quitte ce qui n’était pas ma passion pour aller vers ma passion. Ça m’a pris du temps à réaliser et puis ensuite à prendre mes dispositions et à l’âge de vingt-sept, vingt-huit ans, j’ai suivi ma passion. Je n’avais pas tellement le choix finalement. Je savais que je serais malheureux si je ne le faisais pas. Malheureux, c’est le risque maximum. Donc, voilà.
 
Tokyo le 21 juin 2017
Propos recueillis : Éric Priou
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